![Opération Matriochka : la campagne prorusse contre la "communauté des fact-checkeurs" s'intensifie Opération Matriochka : la campagne prorusse contre la "communauté des fact-checkeurs" s'intensifie](/data/posts/2024/06/10/1718037129_Operation-Matriochka-la-campagne-prorusse-contre-la-communaute-des-fact-checkeurs-s-intensifie.jpg)
Les médias et services de fact-checking français de plus en plus exposés à une "ingérence numérique étrangère" : dans un rapport publié le 10 juin, le service de l'État chargé de la protection contre les ingérences numériques, Viginum, a mis au jour une intensification de l'opération Matriochka – du mot russe désignant les poupées gigognes.
"L'objectif est de décrédibiliser ces médias, avec aussi de saturer les réseaux de fact-checking", a notamment déclaré l'organisme lors d'un point avec des médias français.
Cette campagne prorusse, déjà documentée en janvier par le collectif Bot Blocker et l'AFP et dont les premières traces remontent à septembre 2023, s'emploie depuis plusieurs mois à produire et diffuser des faux contenus, puis à interpeller des médias occidentaux sur les réseaux sociaux afin de les pousser à les vérifier.
"Les critères d'une ingérence numérique étrangère apparaissent réunis", a notamment déclaré l'organisme. Ce dernier a alerté sur une intensification de cette "campagne malveillante" depuis le printemps 2024. "C'est l'accélération de la menace qui nous a poussés à publier ce rapport", a-t-il indiqué auprès des Observateurs.
"Saturer les réseaux de fact-checking"
De France 24 à RFI en passant par Le Monde ou Le Figaro, de nombreux médias français ont été victimes de telles attaques. Cette opération, qui a aussi touché d'autres médias internationaux, selon un rapport de l'organisation CheckFirst publié début juin portant sur cette même campagne, qui se caractérise par la diffusion "inauthentique" de ces intox.
Le procédé est simple : dans un premier temps, des contenus faux reprenant majoritairement un narratif anti-ukrainien ou anti-français et usurpant régulièrement l'identité de ces médias sont diffusés dans des chaînes russophones de la messagerie Telegram. Viginum indique que ces chaînes ont "déjà été identifiés" depuis plusieurs mois "dans des manœuvres informationnelles" prorusses.
Dans un second temps, ces intox sont diffusées sur X (ex-Twitter) par de faux comptes qui interpellent directement les médias et leur demandent de vérifier ces intox.
Ces derniers mois, plusieurs fausses vidéos se sont attaquées au soutien français à l'Ukraine contre la Russie ou encore aux Jeux olympiques de Paris. Mi-avril, une vidéo reprenant l'identité graphique de la radio RFI (qui fait partie du groupe France Médias Monde, comme France 24) prétendait qu'une ancienne secrétaire d'État aux anciens combattants avait dénoncé la réduction du budget des commémorations du 80e anniversaire du Débarquement à cause des JO.
Un "engagement relativement limité"
Ce type de faux contenus fait aussi écho à d'autres vidéos issues de cette opération et repérées par le service de vérification de France 24, les Observateurs. Début avril, plusieurs faux contenus reprenant l'identité de France 24, TF1 et l'AFP, avaient en effet partagé des intox sur une vague d'annulations de locations Airbnb pour les JO de Paris.
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Au total, 90 manœuvres de ce type ont été recensées par VIGINUM depuis septembre, et au moins 500 comptes X ont été ciblés dans le cadre de cette opération. Difficile toutefois de déterminer l'impact réel de telles campagnes, à la visibilité limitée sur les réseaux sociaux.
"À ce stade, la recherche d'audience ne semble être qu'un objectif secondaire des opérateurs, comme en atteste la faible volumétrie d'audience et d'engagement aux publications de la campagne", souligne VIGINUM dans son rapport.
Aux yeux du service de protection contre les ingérences numériques étrangères, le but de cette opération serait ailleurs : "L'objectif principal de la campagne Matriochka est de décrédibiliser les personnalités et médias occidentaux engagés dans du fact-checking, y compris publiquement s'ils réagissent aux contenus contrefaits."
"Sensibiliser les médias et le public"
Un objectif qui interroge une partie de la communauté des fact-checkers sur ses pratiques journalistiques. Quelques jours après la publication du rapport de CheckFirst sur cette opération que l'organisme a de son côté baptisé "Overload" ("Surcharge"), le service de vérification de Libération CheckNews a notamment partagé ses doutes "face à la stratégie de saturation" de ce type d'ingérence.
"Ces nouvelles méthodes d’ingérence doivent nécessairement nous pousser, nous rubrique de fact-checking, à nous interroger face à ces ingérences [...]", souligne Checknews. "Doit-on chercher à vérifier ou authentifier ces contenus si nous avons la suspicion ou des éléments tangibles établissant un lien avec les intérêts du Kremlin ? Est-ce tomber dans le piège tendu par les commanditaires ?"
De son côté, Viginum a indiqué vouloir "révéler ces manœuvres pour sensibiliser les médias et le public à l'égard de ces opérations", rappelant que la menace d'ingérence numérique demeurait "très élevée", notamment dans le cadre des Jeux Olympiques ou des élections européennes du 9 juin.
Le 8 juin, le collectif Bot Blocker, qui documente les campagnes d'ingérence prorusses en ligne, a exposé de nouveaux exemples d'ingérence à la veille du vote pour les élections européennes.
🇫🇷 FRANCE: Last night, pro-Kremlin bots🤖 were seeking to influence public debate around EU elections in favor of right-wing RN.
Fake clones of @Le_Parisien and @LePoint were used, but also authentic @Le_Figaro and more.
Similar to 🇩🇪, they messed it up most of time. 🧵
1/ pic.twitter.com/ebHYaKVHId
Plusieurs faux articles usurpant l'identité de médias comme Le Parisien ou Le Point, appelaient à voter pour le Rassemblement national contre Emmanuel Macron. Une campagne liée cette fois-ci à une autre opération prorusse, Doppelgänger, qui usurpe depuis 2022 l'identité de médias occidentaux à des fins de propagande.