Une drôle d'atmosphère plane au-dessus de Cannes. À la veille de l'ouverture de la 77e édition du Festival de Cannes, la ville se prépare à accueillir le gotha du cinéma mondial dans un contexte tendu, entre rumeurs d'accusations #MeToo et menaces de grève concernant les professionnels du monde du cinéma.
Sur la Croisette, les commerçants, loin de ces bruits qui agitent les réseaux sociaux, s'activent face à l'arrivée des 35 000 festivaliers attendus du 14 au 25 mai. "Moi ce que je vois, c'est une effervescence sur les plages, tous les restaurateurs qui se préparent à accueillir les VIP, et dans les boutiques, les femmes qui regardent les robes de soirée", affirme Christine Capao, 60 ans, rencontrée dimanche par l'AFP.
Mais en coulisses, l'ambiance est tout autre avec des rumeurs d'accusations en lien avec #MeToo qui circulent depuis des semaines. Elles pourraient perturber la 77e édition du Festival, sept ans après l'affaire Weinstein qui a lancé le mouvement de libération de la parole.
Manifestation devant le CNC
Lundi, entre 100 et 200 personnes, dont l'actrice Judith Godrèche, se sont rassemblées devant le siège du Centre national du cinéma (CNC) à Paris pour réclamer le départ de son président Dominique Boutonnat, qui doit être jugé en juin pour agression sexuelle, selon les organisateurs et le CNC.
« Séparer l’homme du CNC »
Judith Godrèche et une cinquantaine de personnes réunies devant le CNC pour demander la démission de Dominique Boutonnat, accusé d’agressions sexuelles@BFMTV pic.twitter.com/RMmKSQlSeY
L'actrice française, qui accuse depuis février les réalisateurs Benoît Jacquot et Jacques Doillon de viols lorsqu'elle était mineure, est devenue le fer de lance de la lutte contre les violences sexuelles dans le milieu du cinéma français. Fin février, Judith Godrèche avait demandé au Sénat l'ouverture d'une commission d'enquête sur les violences sexistes et sexuelles dans le milieu du cinéma, qui a été acceptée par la chambre haute début mai. À Cannes, elle présentera d'ailleurs un court-métrage, "Moi aussi", réalisé avec un millier de victimes de violences sexuelles ayant répondu à son appel sur les réseaux sociaux.
Les organisateurs du Festival de Cannes ont d'ailleurs pris les devants en rappelant dimanche leur engagement depuis 2018 dans la lutte contre les violences sexuelles, "qui ont trop longtemps eu cours" dans le 7e art, via une cellule d'assistance dédiée. Le sujet sera abordé de front avec la venue dès mercredi de Judith Godrèche.
Bien qu'aucune enquête journalistique sérieuse n'ait été publiée sur le sujet ces derniers jours, une mystérieuse liste d'une dizaine de grands noms du cinéma français accusés de violences sexuelles a commencé à s'ébruiter sur les réseaux sociaux. "Si le cas d'une personne mise en cause se présentait, nous veillerions à prendre la bonne décision au cas par cas", a déclaré Iris Knobloch, présidente du Festival.
À l'affiche du "Deuxième acte" du réalisateur Quentin Dupieux, en ouverture du Festival, l'acteur Vincent Lindon a répété sur France Inter que "les hommes doivent accompagner les femmes" dans le mouvement #MeToo au cinéma, tout en appelant à instaurer plus de "calme" et de "nuance" face aux rumeurs.
Menaces de grève
Sur le terrain social, c'est un autre événement qui pourrait perturber la tenue du Festival. Un collectif rassemblant des attachées de presse, projectionnistes, chargés de billetterie et autres travailleurs du cinéma appelle à une grève. Ils demandent à bénéficier du statut d'intermittents du spectacle et ont reçu le soutien d'acteurs comme Louis Garrel et Swann Arlaud. Le Festival s'est dit prêt au dialogue.
Enfin, certaines associations comme le collectif 50/50, qui promeut l'égalité entre hommes et femmes dans le cinéma et l'audiovisuel regrette le manque de parité qui continue de toucher le Festival. Avec 20 % de réalisatrices dans sa sélection officielle, complétée le 22 avril, le Festival de Cannes "régresse" par rapport à la dernière. Quatre femmes sont en lice cette année pour décrocher la Palme d'or contre six l’an dernier, sur une vingtaine d’œuvres en compétition.
Casting cinq étoiles
Autant de secousses qui feraient presque oublier la compétition, mélange de jeunes talents, comme la Française Agathe Riedinger avec son premier film "Diamant brut" sur la télé-réalité, et de monuments du 7e art, à l'instar de Francis Ford Coppola qui brigue une troisième Palme d'or avec "Megalopolis", 45 ans après celle obtenue pour "Apocalypse Now".
Le palmarès, qui sera dévoilé le 25 mai, est plus qu'attendu après le succès mondial de la Palme 2023, "Anatomie d'une chute" de Justine Triet, récompensée ensuite aux Oscar.
Le jury chargé de départager les 22 films en compétition est présidé par l'Américaine Greta Gerwig, auréolée du succès planétaire de "Barbie". Elle est épaulée par les comédiens Omar Sy, Eva Green, Lily Gladstone ou le cinéaste Kore-Eda.
Hollywood sera également célébré par les Palmes d'or d'honneur remises à Meryl Streep et George Lucas, ainsi que, hors compétition, le retour de la saga "Mad Max" (avec le film "Furiosa") et la venue de Kevin Costner (avec le premier opus de sa saga sur l'Ouest américain). Côté nouveauté, Cannes lance une compétition de films immersifs, incluant la réalité virtuelle.
Avec AFP