
À deux reprises dans des discours récents, le guide suprême iranien, Ali Khamenei, n'a pas mâché pas ses mots à propos du hijab. Le 3 avril, il a ainsi déclaré : "Le hijab est une obligation fondée sur la charia qui ne doit pas être abrogée [...]. Le hijab est également une obligation légale, et tout le monde doit respecter la loi." Le 10 avril, il insiste, dans un autre discours : "Nous ne voulons imposer la religion à personne, mais nous combattrons le non-conformisme."
Ces discours ont apparemment servi de base à Ahmad-Reza Radan, le chef de la police nationale de la République islamique, un ancien officier militaire connu depuis des années pour son imposition brutale des règles relatives au hijab. Le 11 avril, il a annoncé que la police allait sévir contre les femmes ne portant pas le hijab. "Les femmes doivent porter le hijab comme il se doit, sinon la police les confrontera conformément à la loi sur le hijab", a-t-il déclaré, ajoutant que la répression commencerait le 13 avril.
Le 14 avril, son bureau a publié un communiqué indiquant que des patrouilles de surveillance du port du hijab avaient commencé à sillonner le pays.
En décembre 2022, à la suite des manifestations "Femme, vie, liberté", le procureur général avait mis fin à la "Gasht-e Ershad", "patrouille de guidance islamique" en persan, ou "patrouille de moralité", ces unités de répression des femmes. Ces manifestations historiques avaient été déclenchées en septembre par la mort de Mahsa Amini lors de sa garde à vue, après son arrestation par cette "police des mœurs".
Des images d'arrestations diffusées en ligne
À partir du 15 avril, des images amateur et des témoignages ont commencé à émerger depuis Téhéran et d'autres villes, montrant des arrestations violentes de femmes, parfois à l'aide de Taser.
Ce jour-là, la journaliste Dina Ghalibaf a ainsi raconté sur X qu'elle avait été arrêtée par une patrouille de moralité à la station de métro Sadeghiyeh à Téhéran. Elle indique avoir été frappée par des policiers et harcelée sexuellement avant d'être emmenée en détention. Elle a été libérée, puis de nouveau arrêtée à son domicile le lendemain, après avoir signalé l'incident sur X.
Amid escalating state violence against women in Iran for appearing in public without the state-mandated hijab, journalist Dina Ghalibaf was arrested in Tehran on April 16th after tweeting about being tasered and sexually harassed in Sadeghiyeh metro station for defying… pic.twitter.com/LvwCJVUVQk
— IranHumanRights.org (@ICHRI) April 16, 2024D'autres femmes ont également raconté avoir été victimes de harcèlement sexuel lors de ces arrestations. Dans le passé, les femmes détenues lors des manifestations "Femme, vie, liberté" ont souvent fait état d'abus sexuels de la part des policiers.
Sur une photo prise à Téhéran et largement partagée sur les réseaux sociaux (photo en une de notre article), des policiers semblent se préparer à partir en "patrouille de moralité". Cette photo – tout comme des vidéos amateur – montre une douzaine de policiers en uniforme, certains portant des gilets jaunes, à côté d'une rangée de mobylettes. Plusieurs femmes sont visibles, vêtues de tchadors noirs, à côté d'une camionnette blanche.
Une vidéo mise en ligne le 16 avril montre une femme dans la rue, devant la station de métro Shirazi à Téhéran, forcée de monter dans une camionnette blanche par des policiers en gilet jaune et des policières en tchador.
Les techniques utilisées – policiers en uniforme, policières en tchador et camionnettes blanches – sont identiques à celles des "patrouilles de moralité" supposément abolies fin 2022.
La seule différence semble résider dans le marquage des camionnettes blanches. Avant les manifestations, les véhicules portaient l'inscription "Gasht-e Ershad" ("patrouille de guidance islamique") sur leurs fenêtres. Les camionnettes utilisées depuis le 15 avril ne portent aucune inscription indiquant qu'elles sont utilisées pour faire respecter les règles relatives au hijab.

Le 17 avril, la police de Kish, une île touristique du sud de l'Iran, a publié une vidéo montrant des véhicules de police participant à l'arrestation de femmes. La police des villes de Kermanshah et de Tabriz a annoncé des mesures de répression similaires.
"J'étais à moitié nue et ils n'ont pas arrêté de me toucher"
Étudiante d'une vingtaine d'années, "Varesh" a récemment été arrêtée violemment par une "patrouille de moralité" à Téhéran. Elle a requis l'anonymat pour se protéger d'éventuelles poursuites.
Au moment où je vous parle, tout mon corps me fait souffrir. Je suis couverte de bleus. Six gros policiers m'ont arrêtée de la manière la plus brutale que l'on puisse imaginer. J'ai résisté et ils ont arraché mon haut, de sorte que j'étais à moitié nue. Le contact de leurs mains sur ma peau était plus dégoûtant que les coups de leurs poings et de leurs pieds. Finalement, je leur ai dit que je les suivrai pacifiquement. Je leur ai dit : "Pourquoi me touchez-vous ? Ne touchez pas mon corps, vous me dégoûtez." Mais ils s'en fichaient.
Les gens qui se trouvaient à proximité ont essayé de les empêcher de me mettre dans la camionnette, mais il y avait beaucoup de policiers. L'un d'eux a donné un coup de pied à une vieille femme qui m'avait pris la main pour qu'ils ne puissent pas m'arrêter.
Ils m'ont emmenée au poste de police. J'ai appelé ma mère. Elle est venue et a réussi à convaincre le commandant de me relâcher.
Hier, je n'ai pas pu sortir, la douleur est encore trop forte. J'ai décidé de ne plus sortir à pied, seulement en voiture. C'est une bande de sauvages et ils n'en ont rien à faire de nous tuer.
"Je n'ai pas changé ma façon de m'habiller et je ne compte pas le faire"
"Agrin" (pseudonyme) est une étudiante de 22 ans qui a participé aux manifestations "Femme, vie, liberté". Elle n'a pas été arrêtée ces derniers jours, mais elle a déjà été détenue par une "patrouille de moralité" en 2022.
Je n'ai pas regardé les nouvelles ces derniers jours, donc je ne savais pas que les "patrouilles de moralité" étaient à nouveau dans les rues. J'étais assise dans la voiture et je me suis dit : "Wow, ils sont partout !"
Je n'ai pas changé ma façon de m'habiller et je ne compte pas le faire. Et je n'ai pas vu de différence dans la façon dont les femmes s'habillent dans la rue non plus, malgré la présence des patrouilles.
J'ai déjà été arrêtée par une patrouille de moralité. Ils ne me font pas peur et franchement, je me fiche qu'ils m'arrêtent. S'ils m'arrêtent, j'appellerai ma famille pour qu'elle vienne essayer de me faire sortir. J'ai leur soutien et même si la police me retient pendant un certain temps, je m'en fiche. J'ai appris à vivre en sachant que je pourrais être arrêtée. J'ai affronté mes peurs et je fais de mon mieux pour défendre mes convictions.
Chaque fois que je vois ou que j'entends parler d'une personne arrêtée par une "patrouille de moralité", je ne ressens que de la rage. Je suis de plus en plus convaincue que je dois quitter ce pays au plus vite.
"Je ressens toujours la solidarité des gens, en particulier des hommes, envers les femmes qui ne portent pas de hijab"
Depuis les manifestations "Femme, vie, liberté", je peux m'habiller, pas exactement comme je le souhaite, mais je peux au moins faire des choix. Je peux sortir dans la rue sans foulard et je porte généralement une chemise et un pantalon. En voiture, c'est un peu risqué parce que les partisans du régime peuvent nous dénoncer à la police sur la base de nos plaques d'immatriculation.
Il est parfois difficile d'aller dans les cafés ou les restaurants parce que la police les oblige à nous demander de porter le hijab. Cependant, la plupart d'entre eux ignorent cette pression et nous laissent faire ce que nous voulons, mais ils en paient alors le prix et sont fermés par les autorités pendant un certain temps.
Un an et demi après le début des manifestations, je constate encore des signes de solidarité parmi les Iraniens, en particulier les hommes, à l'égard des femmes qui choisissent de sortir sans hijab. Il y a beaucoup moins de harcèlement dans la rue qu'avant les manifestations "Femme, vie, liberté".
Heureusement, mon université est d'accord avec la façon dont nous nous habillons. Et comme je travaille dans le secteur privé, ils ne se soucient pas non plus de la façon dont je m'habille.
Selon la loi de la République islamique d'Iran, qui repose sur la charia, les femmes qui ne portent pas le hijab risquent entre un et dix jours de prison. La police du régime impose également des amendes et confisque les voitures dans lesquelles des femmes sont vues sans hijab.