
Le soir du 13 avril, à 23 h 54 (23 h 24 en Israël), les chaînes d’État iraniennes annoncent un tir massif de missiles et de drones sur l’État hébreu. Les médias étatiques ont qualifié ces tirs de “représailles” après l’attaque israélienne contre le consulat iranien en Syrie, le 1er avril, qui avait entrainé la mort d'une dizaine de personnes, dont des hauts gradés des puissants gardiens de la révolution islamique.
Deux heures plus tard, les premières sirènes d’alerte antimissiles résonnent dans le sud d’Israël à 1 h 42, soit 2 h 12 en Iran. Des explosions sont entendues peu après.
Dans la foulée de l’annonce officielle à la télévision iranienne, avant même que les tirs n’atteignent Israël, des célébrations présumément organisées par des membres de la branche paramilitaire des gardiens de la révolution, le Basiji, ont eu lieu dans différentes villes iraniennes.
À 1 h 34, une vidéo publiée par la chaine Telegram du média étatique Noor News montre des centaines de personnes rassemblées sur la place de la Palestine à Téhéran en train de célébrer et de scander des slogans favorables à la guerre. Au même endroit, un immense panneau d’affichage montre des missiles iraniens déchirant le drapeau israélien, accompagné d’un slogan : "La prochaine claque sera plus forte."
Pour influencer la perception publique de l'attaque, les médias contrôlés par l'État et par les gardiens de la révolution ont rapidement diffusé des images de personnes célébrant ce qu'un député prorégime a appelé la "réplique dévastatrice" des gardiens en Israël.
Loin de ces manifestations orchestrées par le régime, les réactions des Iraniens sur les réseaux sociaux étaient nettement différentes. Elles vont de la crainte d'une éventuelle guerre à l'inquiétude d'une nouvelle détérioration de l'économie iranienne, déjà en difficulté.
سیلی بعدی محکمتر است…
دیوارنگاره جدید میدان فلسطین رونمایی شد. pic.twitter.com/w5uoWVzZE1
"Personnes en Iran ne veut la guerre avec qui que ce soit, et surtout pas avec Israël"
Niki (pseudonyme), 25 ans, a d’abord eu vent de l’attaque via Telegram. Comme nombres de jeunes Iraniens qui ont exprimé leurs opinions sur les réseaux sociaux à la suite des frappes sur Israël, elle a fait part de ses craintes d'une guerre, et d'une aggravation de l'isolement et de la crise économique qui touche l'Iran.
Lorsque j'ai vu la nouvelle, j'ai eu la peur au ventre et un sentiment d’horreur. J'ai prié pour qu'il s'agisse de fausses informations. J'ai allumé la BBC Persian et j'ai vu qu'ils couvraient l'événement en direct. Je me suis alors figée. Je n'ai jamais eu aussi peur de ma vie.
Attendre que les drones et les missiles tombent pendant des heures a été un véritable enfer. J'ai vu beaucoup de gens faire des blagues sur "la guerre". J'ai aussi beaucoup ri de ces blagues. Lorsqu'il y a une catastrophe dans ce pays, nous en plaisantons. Je suis sûr que c'est un mécanisme national d'adaptation pour nous les Iraniens, pour ne pas devenir fous dans cet enfer dans lequel nous vivons.




"Pourquoi devrions-nous faire la guerre ?"
Comme d'autres Iraniens sur les réseaux sociaux, Niki dit craindre que l'attaque ne conduise à une nouvelle guerre dévastatrice pour l'Iran, comme celle de 1980-1988 contre l'Irak de Saddam Hussein.
Comme une guerre en 40 ans n'a pas suffi aux mollahs [la guerre entre l'Iran et l'Irak s’est déroulée dans les années 1980], ils poussent notre génération vers une nouvelle guerre.
Si la guerre contre Saddam était destinée à défendre notre pays, je respecte cela. Mais pourquoi devrions-nous faire la guerre à Israël ? Quel est le problème du peuple iranien avec Israël ? Il n'y en a pas. Je ne veux pas mourir pour l'idéologie des Basiji ou ces salauds de gardiens de la révolution dont je me fiche éperdument. Ce sont ces mêmes salauds qui m'arrêtent ou me battent dans la rue parce que je ne porte pas le hijab, ou qui ont tué et torturé mes frères et sœurs pendant les manifestations.
En plus, ils ont tiré beaucoup de drones et de missiles, et qu'ont-ils obtenu ? Rien, ni sur le plan militaire, ni sur le plan politique.



"Notre économie est ruinée par ces mollahs"
De nombreux Iraniens sur les réseaux sociaux ont noté qu'après l'attaque du 13-14 avril contre Israël, la monnaie iranienne avait perdu 15 % de sa valeur. Un dollar s'échange désormais contre 72 000 rials. Le marché boursier iranien s'est également effondré.
Niki poursuit :
Quand je parle aux gens, ils partagent les mêmes sentiments que moi – ma famille, mes amis, des gens à l'université, les gens dans la rue, tous. Notre économie est ruinée par ces mollahs. Notre argent est l'argent le plus inutile du monde.
La République islamique a créé cette image de notre peuple : les Iraniens sont une bande de sauvages qui attaquent tel ou tel pays. Leurs actions nous ont mis dans une position où nous pouvons être accusés d'être une nation antisémite.


Depuis les frappes iraniennes en Israël, les appels au calme se sont multipliés pour éviter une escalade au Moyen-Orient. Dans une conférence de presse donnée le 16 avril 2024, le chef d'état major de l'armée israélienne Herzi Halevi a néanmoins promis une "riposte" à l'attaque de l'Iran.