Ce devait être un événement culturel majeur au Liban. La pièce "Journée de Noces chez les Cromagnons", du dramaturge libano-canadien Wajdi Mouawad ne sera finalement pas jouée sur la scène de Beyrouth. La mauvaise nouvelle est tombée mercredi 10 avril dans un communiqué diffusé dans la soirée par le théâtre Monnot expliquant regretter de "devoir annuler" la première mondiale de la pièce de théâtre programmée le 30 avril.  

L'institution justifie cette décision "en raison de pressions inadmissibles et de menaces sérieuses" de certains activistes qui "ont également déposé une plainte contre Wajdi Mouawad auprès du Parquet militaire". 

Sur les réseaux sociaux, les comédiens libanais qui devaient jouer cette pièce en langue arabe subissent de violentes attaques personnelles depuis plusieurs jours, accusés d'être des "traîtres" à la patrie.

"Les acteurs ont été harcelés via leurs téléphones", précise également à l'AFP la directrice du théâtre, Josyane Boulos. "Après la plainte contre Wajdi Mouawad, nous ne pouvons plus prendre de risque".

Lundi, l'ONG "The Commission of Detainees Affairs", a annoncé avoir "demandé au Parquet militaire l'ouverture d'une information judiciaire contre Wajdi Mouawad pour délit de communication avec l'ennemi israélien, en contravention de la loi sur le boycott d'Israël".

Deux pays en état de guerre

"Journée de Noces chez les Cromagnons", qui raconte l'histoire d'une famille libanaise en plein préparatifs du mariage de leur fille pendant la guerre civile (1975-1990), fait ainsi les frais d'une violente campagne à l'encontre de son metteur en scène, également directeur du théâtre de la Colline depuis 2016.

Des militants et des médias parfois proches du Hezbollah affirment que la pièce "Tous des Oiseaux" de 2017, qui traite de l'identité et du conflit israélo-palestinien, avait été financée par l'ambassade d'Israël à Paris et le théâtre Cameri de Tel-Aviv. Le 6 avril, la "Campagne de boycott des partisans d’Israël au Liban" a exigé l'interdiction de la pièce de Wajdi Mouawad, mentionnant son "passif de normalisation et de promotion de l’occupation israélienne".

Pays voisins, le Liban et Israël sont techniquement en état de guerre et Beyrouth interdit à ses ressortissants de se rendre en Israël ou d'avoir des contacts avec cet État. Depuis le 8 octobre, les relations entre les deux pays ont connu un fort regain de tension. Le Hezbollah échange des tirs quotidiens à la frontière avec l'armée israélienne, en soutien au Hamas palestinien à Gaza, faisant planer la menace d'une guerre ouverte.

Rendez-vous à Montpellier

Interrogé par le média en ligne Ici Beyrouth, un proche de l'organisation qui préfère garder l'anonymat appelle à "faire preuve de clairvoyance et d’honnêteté, et de reconnaître que Wajdi Mouawad [...] n’est en aucun cas hostile à la cause palestinienne, et qu’il exerce son métier avec conscience, professionnalisme et indépendance, en collaboration avec des artistes locaux et des dramaturges libanais".

De son côté, le théâtre de la Colline a réagi jeudi dans un communiqué prenant acte de la décision d'annulation. "Les équipes de La Colline de retour en France reprendront les répétitions pour assurer la création du spectacle dont les premières sont prévues au Printemps des comédiens à Montpellier du 7 au 9 juin."

Wajdi Mouawad, 55 ans, est considéré comme l'un des plus grands noms du théâtre contemporain. Mardi, il a été reconduit à la tête du Théâtre de la Colline jusqu'en 2027. À cette occasion, le ministère de la Culture avait salué "la programmation artistique ambitieuse" du dramaturge qui a "su affirmer une dimension internationale en accueillant des créations d'Europe, d'Amérique du Nord et du Proche-Orient", et "rendre toujours plus accessible le théâtre aux publics qui en sont éloignés".

Avec AFP