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Le Yémen, nouvelle base arrière d'Al-Qaïda ?

À l'instar de l'auteur présumé de la tentative d'attentat contre le vol Amsterdam-Detroit, de nombreux djihadistes ont fait leur classe au Yémen. Un pays pourtant partenaire des États-Unis dans leur "guerre contre le terrorisme".

Triste Arabie heureuse. Pour la énième fois depuis plus de dix ans, le Yémen est cité à charge dans le dossier du terrorisme international. Dernière évocation en date : le 28 décembre. Trois jours après la tentative d’attentat contre le vol Amsterdam-Detroit, l'organisation qui se fait appeler Al-Qaïda dans la péninsule arabique affirme en être le commanditaire. La veille, l'auteur présumé de l'attaque, le jeune Nigérian Umar Abdulmutallab, confie aux autorités américaines avoir été entraîné au Yémen, où il séjournait encore début décembre.

Une information qui vient confirmer encore un peu plus les craintes des Etats-Unis - et de l’Europe - de voir le Yémen supplanter l'Afghanistan comme base arrière de la nébuleuse islamiste. A Washington, l’inquiétude est si grande que certains "faucons", même issus des rangs démocrates, considèrent ce pays comme une potentielle cible de l’armée américaine. Le 27 décembre, le président de la commission de la sécurité intérieure au Sénat, Joe Lieberman, n’a pas hésité à affirmer que le territoire yéménite pourrait être "le terrain de la prochaine guerre à l’étranger si Washington n’entreprend aucune action préventive pour y déloger les intérêts d’Al-Qaïda". Comme un air de déjà-vu…

Dans le collimateur américain depuis 2000

Ce n’est pas la première fois en effet que les Américains pointent du doigt le pays qui a vu naître la famille d’Oussama Ben Laden. "Le Yémen est dans le collimateur américain depuis l’attentat contre le navire du guerre américain USS Cole, en octobre 2000, au large d’Aden", rappelle François Burgat, auteur de "L'Islamisme à l'heure d'Al-Qaïda" (éd. La Découverte, 2005). Après le 11 septembre 2001, les Etats-Unis, engagés dans leur "guerre contre le terrorisme", demandent à Sanaa de tout mettre en œuvre pour éradiquer les mouvements djihadistes qui sévissent dans le pays.

Soucieux de ne pas devoir tirer un trait sur l’aide financière fournie chaque année par le pays de l’oncle Sam (en 2009, l’Agence américaine d’aide au développement international a versé 24 millions de dollars à Sanaa), le président yéménite, Ali Abdallah Saleh, au pouvoir depuis plus de 30 ans, s’échine à offrir des garanties de sa bonne foi à Washington. Mais, en dépit de quelques coups de force sporadiques contre des militants islamistes, Sanaa peine à répondre aux exigences américaines. Etat fragilisé par une guerre civile au Nord et des mouvements sécessionnistes au Sud, tribus toutes-puissantes, pauvreté endémique, montagnes difficiles d'accès...  Le Yémen constitue une "terre d'accueil" idéale pour les djihadistes d'Al-Qaïda.

Frappées d'impuissance devant ces "combattants ennemis" des Etats-Unis, les autorités yéménites n’hésitent pas dès lors à désigner des boucs émissaires. "Le président Saleh s’est servi de la guerre contre les rebelles zaïdites du Nord pour faire bonne figure auprès de Washington, indique François Burgat. Au final, ce sont les pressions américaines qui ont aggravé ce conflit. Les mesures sécuritaires mises en place au lendemain du 11-Septembre n’ont été efficaces qu’au début. Car elles ont fini par nourrir la machine à fabriquer de la radicalisation dans tout le pays."

La grande évasion

En février 2006, 23 personnes soupçonnées d'appartenir au réseau Al-Qaïda, parmi lesquelles figurent les auteurs présumés de l'attentat contre l'USS Cole, parviennent à s'échapper de la prison de haute sécurité de Sanaa. A la tête des fugitifs, Nasser al-Wahayshi, ancien secrétaire d’Oussama Ben Laden, qui réactive dans la foulée l’antenne yéménite du groupe islamiste créé par son ancien patron.

Très vite, la cellule revendique un nombre important d’attentats visant des étrangers sur le sol yéménite : entre juillet 2007  et janvier 2008, attaques meurtrières contre des convois de touristes ; avril 2008, tirs de roquettes contre un complexe résidentiel de Sanaa abritant des experts pétroliers américains ; septembre 2008, attentat contre l’ambassade des Etats-Unis à Sanaa...

Forte de ce macabre "palmarès",  la cellule dirigée par Nasser al-Wahayshi fusionne, en janvier 2009, à la branche saoudienne d’Al-Qaïda. Un regroupement qui donne naissance à Al-Qaïda dans la péninsule arabique dont le but est de faire du Yémen la base régionale des opérations menées dans le Golfe. Mais depuis l'attentat manqué du vol 253 Amsterdam-Detroit, l'organisation a démontré qu'elle pouvait agir bien au-delà.