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Les divisions entre la France et l'Allemagne autour de la fin du moteur thermique en 2035 et de l’avenir de l’énergie nucléaire s’invitent au sommet européen, lancé jeudi à Bruxelles, sur fond de lutte contre le réchauffement climatique et de guerre en Ukraine qui poussent l’Europe à se défaire des énergies fossiles.

Les discussions s'annoncent ardues. Les disputes franco-allemandes sur la place du nucléaire dans la lutte contre le changement climatique et l'interdiction des moteurs thermiques en 2035 jettent une ombre sur le sommet des chefs d'État et de gouvernement de l'UE, qui se tient à Bruxelles jeudi 23 et vendredi 24 mars. 

L'Ukraine, mais aussi les moyens de renforcer la compétitivité de l'économie européenne, sont à l'agenda des discussions. Dès son arrivée, Xavier Bettel, Premier ministre du Luxembourg, allié de Berlin dans le rejet de l'atome, a défendu sa position. "L'énergie nucléaire ? Elle n'est pas sûre, pas rapide, pas bon marché et elle n'est pas respectueuse du climat. Avec des drapeaux européens dessus, ce serait une arnaque", a-t-il lancé. 

L'affrontement sur le nucléaire fait rage

Une réunion bilatérale entre la France et l'Allemagne est prévue vendredi matin, alors que les relations entre les deux puissances européennes sont tendues depuis des mois.  

Le contexte est difficile pour le président français Emmanuel Macron, arrivé en toute discrétion avec trois heures de retard jeudi, après deux mois de contestation massive contre sa réforme des retraites. De son côté, le chancelier allemand Olaf Scholz est également en difficulté dans les sondages et empêtré dans les divisions de sa coalition. 

Paris et Berlin ne cessent de batailler sur la question du nucléaire depuis que l'Allemagne a décidé d'en sortir après la catastrophe de Fukushima en 2011. La semaine dernière encore, le couple franco-allemand s'était affronté sur la place du nucléaire dans une proposition de règlement de la Commission européenne en matière de politique industrielle.  

La France et une dizaine d'États qui misent sur cette technologie souhaitaient obtenir la reconnaissance de l'atome dans les moyens à soutenir pour décarboner l'économie, contre l'avis de l'Allemagne et d'une poignée de pays antinucléaires. 

Finalement, Paris a obtenu que le nucléaire soit mentionné, décrochant une victoire symbolique. Mais, en pratique, la filière ne bénéficiera quasiment d'aucun des avantages prévus par le texte, comme l'accélération des procédures d'autorisation de projets ou les facilités de financements qui profiteront aux énergies renouvelables. 

La querelle des moteurs thermiques

Autre point de discorde : l'automobile. Le gouvernement allemand a choqué ses partenaires début mars en bloquant un texte clé du plan climat de l'UE sur les émissions de CO2 des voitures, qu'elle avait pourtant déjà approuvé.  

Ce texte, qui imposera de fait les motorisations 100 % électriques pour les véhicules neufs à partir de 2035, avait fait l'objet en octobre d'un accord entre États membres et négociateurs du Parlement européen, et avait été formellement approuvé mi-février par les eurodéputés réunis en plénière. 

Mettant en avant les carburants synthétiques (ou "e-fuels") comme solution après 2035, l'Allemagne a réclamé de la Commission européenne qu'elle présente une proposition ouvrant la voie aux véhicules fonctionnant aux carburants de synthèse, une disposition pourtant déjà prévue dans l'accord conclu l'an dernier. 

Cette technologie, encore en développement, consisterait à produire du fuel à partir de CO2 issu des activités industrielles en utilisant de l'électricité bas-carbone. Défendue notamment par des constructeurs de véhicules haut de gamme allemands et italiens, elle permettrait de prolonger l'utilisation de moteurs thermiques après 2035.

Entre Paris et Berlin, les divisions sur l'automobile et le nucléaire bousculent le sommet de l'UE

"L'Allemagne est très dépendante du secteur automobile, et donc des moteurs thermiques", rappelle Rémi Bourgeot, économiste principal au conférence Board, chercheur associé à l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), sur France 24. Selon l'expert, le passage au 100 % électrique relève d'un "défi très important". "Les constructeurs européens partent de loin et ne sont pas bien positionnés dans l'offre de véhicules électriques." La question des batteries et de la dépendance à l'Asie et à la Chine se pose également. "On peut craindre que l'Europe n'arrive pas à bâtir une autonomie dans ce domaine." 

L'exécutif européen mène des discussions complexes avec Berlin pour trouver une issue. L'idée est qu'elle précise, dans un texte séparé, comment l'UE pourra accorder à l'avenir un feu vert aux carburants de synthèse, sans remettre en cause ses objectifs de réduction de CO2

Mais cette technologie est vivement contestée par les ONG environnementales. "Les carburants synthétiques sont chers en raison de leur processus de production coûteux et énergivore", dénonce notamment la Fédération européenne pour le transport et l'environnement sur son compte Twitter. "Le coût sera répercuté sur les automobilistes et seuls les riches pourront payer la facture." 

E-fuels are expensive due to their costly & energy intensive production process.

The cost will get passed onto drivers & only the wealthy will be able to foot the bill.

Some drivers who buy new ICEs will be pushed into circumventing the rules & buying fossil petrol instead.
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— Transport & Environment (@transenv) March 23, 2023

Plusieurs responsables s'inquiètent d'une remise en cause des procédures de l'UE qui pourrait faire dérailler de nombreux textes, notamment du plan climat européen, si d'autres États devaient suivre cet exemple. 

"Toute l'architecture européenne de prise de décision s'écroulerait si nous agissions tous comme ça", a critiqué le Premier ministre letton, Krisjanis Karins. 

"La plupart des pays disent : 'On a pris ce cap [du véhicule électrique], ne changeons pas de cap'", a souligné le chef du gouvernement belge, Alexander De Croo. 

"On ne souhaite pas revenir sur la date de 2035", a souligné de son côté l'Élysée. 

Avec AFP 

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