Au moment où la France restitue au Bénin, mardi, 26 œuvres d’art pillées par ses troupes coloniales, d’autres pays européens lui emboîtent le pas. L’Allemagne et la Belgique ont lancé des procédures similaires avec le Nigeria et la République démocratique du Congo. Le Royaume-Uni, en revanche, reste sourd aux demandes.
Ils sont de plus en plus nombreux à franchir le pas. Les processus de restitutions d’objets d’art pillés pendant la période coloniale se sont multipliés depuis le discours prononcé par Emmanuel Macron à Ouagadougou, au Burkina Faso, en 2017. Le président français s’était alors engagé à "restituer le patrimoine africain en Afrique". Cette promesse prend forme, mardi 9 novembre, avec la signature de l'acte de transfert de propriété de 26 œuvres d'art béninoises à la République du Bénin.
"Le président Macron a surpris tout le monde avec sa promesse, on ne s’y attendait pas. Tout à coup, la France s’est mise à bouger", commente à France 24 Marie-Cécile Zinsou, présidente de la fondation artistique Zinsou.
Pour cette franco-béninoise, spécialiste de l’art africain, le phénomène des restitutions est avant tout "un mouvement mondial, auquel il va être difficile d’échapper dorénavant" mais "la France a sans doute allumé une étincelle" dans d'autres pays.
Pas plus tard que le 5 novembre, le musée national d’art africain de la Smithsonian Institution à Washington a déclaré avoir décroché de sa collection des bronzes du Royaume du Bénin, un territoire situé dans l’actuel Nigeria. L’institution culturelle américaine prévoit désormais d’entamer un processus de rapatriement pour seize pièces identifiées comme des objets pillés lors d’une expédition punitive britannique en 1897, et ce, sans qu’aucune demande formelle du Nigeria n’ait été formulée.
Les Britanniques contre toute restitution
Fin octobre, deux universités du Royaume-Uni ont, elles aussi, restitué au Nigeria des objets pillés au Bénin. La faculté écossaise d’Aberdeen a remis un bronze acheté par l’institution en 1957, issu de ce même pillage de 1897. À Cambridge, le Jesus College a rendu une sculpture en bronze représentant un coq, qui trônait dans le hall depuis 1905. La statue avait été offerte par un parent d’élève, militaire et partie prenante de cette expédition coloniale. Des étudiants du campus anglais réclamaient sa restitution depuis des années, dans le sillage du mouvement Black Lives Matter.
En revanche, aucune restitution en vue du côté du British Museum, qui détient pourtant la plus grande collection au monde de bronzes du Bénin avec plus de 900 pièces. Le Nigeria souhaite les récupérer mais les Britanniques ne consentent qu’à un prêt. "Le British Museum refuse de rendre les pièces béninoises car ils [les Britanniques] craignent que la Grèce ne leur réclame les frises du Parthénon", analyse Marie-Cécile Zinsou. Athènes réclame en effet depuis quarante ans la restitution de ces œuvres d’art emportées par l’ambassadeur britannique au XIXe siècle.
L'Allemagne envisage un rapatriement en 2022
Côté allemand, dans le sillage de la France, Berlin a signé avec le Nigeria, mi-octobre, un protocole d'accord établissant un calendrier pour le retour d'environ 1 100 sculptures béninoises provenant de ses musées. Les premiers rapatriements sont envisagés au deuxième trimestre de 2022.
"Beaucoup se posaient par ailleurs la question de la provenance de ces œuvres", souligne Marie-Cécile Zinsou, "mais désormais on est passé à l’action". En France, de nouveaux postes dédiés à la recherche sur la provenance des œuvres ont été créés ou sont en cours de création, notamment au musée du quai Branly ou encore au musée d’Angoulême, doté d’une importante collection française d'art africain et océanien léguée par un médecin charentais et grand collectionneur d’art en 1934.
La provenance de 40 000 objets étudiés en Belgique
La Belgique, dont l’AfricaMuseum (ancien musée royal d’Afrique centrale) abrite environ 85 000 objets provenant de l’ancien Congo belge, s’est elle aussi lancée dans un long processus pour recenser et étudier la provenance de milliers d’objets issus de ses anciennes colonies. Grâce à des programmes scientifiques initiés par le musée, et avec l’aide des Archives nationales, quelque 35 000 à 40 000 pièces, soit la moitié de la collection congolaise, est ainsi passée au peigne fin. De 1 500 à 2 000 objets d’art sont, quant à eux, déjà classés comme mal acquis et sont donc éligibles pour une restitution.
L’ensemble du processus s’inscrit dans un vaste programme dévoilé en juillet par le secrétaire d’État belge en charge de la politique scientifique, Thomas Dermine. Ce dernier a appelé à ce que "tout ce qui a été acquis par la force et la violence dans des conditions illégitimes" soit restitué. "Les objets qui ont été acquis de façon illégitime par nos grands-parents, arrière-grands-parents ne nous appartiennent pas. Ils appartiennent au peuple congolais", a-t-il ajouté.
"La Belgique a entamé un changement de cap radical, alors qu’elle était l’un des pays les plus en retard sur ces questions", remarque Marie-Cécile Zinsou.
Officiellement, la République démocratique du Congo n’a pas introduit de demande de "restitution" auprès des autorités belges. "Leur démarche est différente", explique la spécialiste, qui évoque une "reconstitution" de la part de Kinshasa. "Une vision moins ethnocentrée", souligne-t-elle.
Selon cette logique, les autorités congolaises ont demandé à la Belgique de les aider à reconstituer uniquement les pièces manquantes des collections représentatives de certains groupes ethniques. Un rapatriement du patrimoine organisé à leur rythme et selon leurs critères. Ces pièces seront accueillies dans le nouveau musée national de la République démocratique du Congo, inauguré en 2019 par le président Félix Tshisekedi. Il ne peut de toute façon accueillir, pour l’instant, que 12 000 pièces dans des conditions optimales de conservation.