L’élection du nouveau président iranien, Ebrahim Raïssi, ne devrait pas induire de changements fondamentaux dans la politique étrangère iranienne. Mais elle pourrait entraîner une accélération des négociations sur le nucléaire afin de sauver la signature d’un accord avant l'investiture de cet ultraconservateur.
Le nouveau président iranien, Ebrahim Raïssi, doit prendre ses fonctions début août après avoir été élu, vendredi 18 juin, avec près de 62 % des voix à l'issue d'un scrutin marqué par une abstention record en Iran. Dans moins de six semaines, l'ultraconservateur et proche du Guide suprême deviendra le nouveau visage de la République islamique d'Iran sur la scène internationale.
Sous la direction de ce religieux traditionaliste à la réputation austère, le ton de Téhéran à l'égard de l'Occident pourrait se durcir, même s'il continuera à négocier pour relancer l'accord nucléaire historique de 2015, comme il s'y est engagé très clairement durant sa campagne. Ainsi, dès sa première conférence de presse lundi 12 juin, Ebrahim Raïssi a appelé à des négociations fructueuses sur le dossier nucléaire, tout en avertissant qu'il ne permettrait "pas de négociations pour le plaisir de négocier". "Toute rencontre doit produire des résultats (...) pour la nation iranienne", a affirmé le président élu.
Alors que son prédécesseur, le modéré Hassan Rohani avait opté pour une ouverture envers l'Occident en favorisant entre autres l'accord de 2015, Ebrahim Raïssi a répondu d'un "non" ferme à la question d'un média américain lui demandant s'il avait l'intention de rencontrer le président des États-Unis, Joe Biden, dans le cas où les discussions de Vienne permettraient d'alléger les sanctions et afin de "régler" les problèmes entre les deux pays, ennemis depuis plus de 40 ans.
Selon les responsables iraniens et occidentaux, il est toutefois peu probable que l'arrivée de ce nouveau président modifie la position de l'Iran dans ces négociations visant à relancer l'accord nucléaire de 2015, initié avec l'accord du Guide suprême iranien, l'ayatollah Ali Khamenei, qui a le dernier mot sur les dossiers les plus importants. En outre, un Conseil suprême de sécurité nationale se charge également de déterminer la politique étrangère iranienne. Et bien que cet organe soit dirigé par le président iranien, c'est le Guide suprême qui doit en valider ses prises de positions. Mais le président iranien dispose tout de même d'une certaine marge de manœuvre, qui peut influer sur le cours des négociations avec les Occidentaux.
Une conclusion des négociations sur le nucléaire avant l'investiture de Raïssi ?
Or le changement de président iranien intervient pourtant à un moment clé des négociations sur le nucléaire. Ces pourparlers entrent dans une phase décisive cet été. Un sixième cycle de discussions indirectes vient de s'achever dimanche entre Téhéran et Washington et les délégués réunis à Vienne ont regagné leurs capitales respectives pour consultations, les négociateurs n'étant pas parvenus à aplanir leurs divergences, selon des responsables iraniens et européens. D'après des diplomates, la pause dans les discussions devrait durer une dizaine de jours.
Pour David Rigoulet-Roze, rédacteur en chef de la revue Orients stratégiques et chercheur spécialiste du Moyen-Orient, la situation est très délicate. "On arrive dans le dur de ces négociations. Or jusqu'ici les Américains, avec les Européens servant d'intermédiaires, négociaient avec une équipe iranienne qu'ils connaissent bien et depuis longtemps. Soit ils vont chercher à accélérer le mouvement par crainte d'une obstruction de la part d'une nouvelle équipe de négociateurs encore moins conciliants, soit le processus pourrait se gripper à cause des derniers points d'achoppements – le programme balistique iranien et l'influence régionale de l'Iran. Autant de points constituant des 'lignes rouges' pour le pouvoir iranien, même si ce dernier affiche le souhait de poursuivre les négociations en cours."
Vincent Eiffling, spécialiste de l'Iran au Centre d'étude des crises et des conflits internationaux abonde en ce sens : "Il y avait un espoir de la part des Occidentaux de pouvoir parvenir à des discussions élargies avec l'Iran sur d'autres sujets comme la question des missiles balistiques, le soutien de l'Iran à ses milices à travers le Moyen-Orient. Mais ce ne seront pas des discussions possibles avec un président tel qu'Ebrahim Raïssi".
Côté iranien, certains responsables n'excluent pas que Téhéran pourrait avoir intérêt à pousser en faveur de la conclusion d'un accord avant le départ de Hassan Rohani. Cela permettrait ainsi à Ebrahim Raïssi de renvoyer la responsabilité d'éventuelles concessions aux Occidentaux à son prédécesseur, a expliqué un haut responsable iranien proche des discussions à Reuters en marge des pourparlers de dimanche. D'une pierre deux coups, une fois l'accord signé par l'administration Rohani, c'est le nouvel exécutif qui en remporterait les fruits : la levée des sanctions et la relance de l'économie iranienne.
Les États-Unis en sont pleinement conscients. Si l'on en croit le New York Times, pour les négociateurs américains, les six prochaines semaines précédant l'inauguration du nouveau président iranien offrent une "fenêtre d'opportunité unique" pour la conclusion d'un accord.
Économie, diplomatie : vers une uniformisation avec la ligne des Gardiens de la révolution
Partisan d'une vision "étatiste", Ebrahim Raïssi ne devrait toutefois pas plaider pour l'ouverture massive de l'économie iranienne aux investisseurs étrangers en cas de levée des sanctions américaines, mais plutôt favoriser "les fondations religieuses qu'il connaît bien et les Gardiens de la révolution [qui possèdent eux aussi de nombreuses entreprises]", analyse l'économiste et spécialiste de l'Iran Thierry Coville. Plusieurs chercheurs estiment que ces acteurs para-étatiques représentent actuellement plus de 50 % de l'économie iranienne, mais que le phénomène reste difficile à chiffrer car ces entreprises ne présentent pas de "traçabilité claire" et évoluent dans un "système clientéliste".
Proche de la ligne du Guide suprême, Ebrahim Raïssi est aussi "plus proche des Gardiens de la révolution [l'armée idéologique de la République islamique] que Hassan Rohani, dont le ministre des Affaires étrangères Mohammad Javad Zarif constituait la 'bête noire'", estime David Rigoulet-Roze, ce qui pourrait entraîner des positions plus intransigeantes de la part du nouveau président sur le programme balistique iranien ou encore l'engagement militaire iranien en Irak, en Syrie et au Liban. Durant sa campagne, il n'a pas caché que l'interaction de la République islamique avec les pays voisins, serait sa priorité.
D'ailleurs sa victoire a été immédiatement saluée par les alliés régionaux de l'Iran, du secrétaire général du Hezbollah libanais, Hassan Nasrallah qui l'a appelé à poursuivre l'appui à la "résistance" menée depuis la révolution islamique contre les "agresseurs" israélien et occidentaux, au dirigeant syrien Bachar al-Assad, qui l'a félicité, tout en l'appelant à assurer la gouvernance de l'Iran dans l'esprit de "la révolution islamique (...) face aux plans et pressions" externes.
En Irak, les milices chiites pro-iraniennes ont elles aussi "applaudi" cette victoire sur les réseaux sociaux, "en disant qu'il y aurait enfin vengeance après l'assassinat du général iranien Qassem Soleimani", indique Lucile Wassermann, la correspondante de France 24 à Bagdad, pour qui la victoire d'un ultraconservateur à la tête de l'Iran va influencer la situation en Irak. "Il va y avoir une certaine uniformisation entre la politique gouvernementale iranienne et celle encouragée par les Gardiens de la révolution, qui se veut beaucoup plus agressive. Cette uniformisation va avoir une influence sur les comportements des milices en Irak", explique-t-elle.
Mais Raïssi se garde bien de fermer les portes de la diplomatie iranienne à double tour, affirmant lors de la conférence de presse de ce lundi qu'il n'y avait "pas d'obstacle" à la reprise des relations diplomatiques – rompues depuis 2016 – entre le royaume sunnite d'Arabie saoudite, rival régional de la République islamique, chiite.
Un lourd passé sur le plan des droits de l'Homme
Enfin Ebrahim Raïssi devra diriger le pays tout en assumant un pedigree peu flatteur. Le président de la République islamique est habituellement celui qui se déplace à l'étranger, où il représente le pays. Or se pose un problème de taille pour le président élu, étant donné qu'il figure sur la liste noire des responsables iraniens sanctionnés par Washington pour "complicité de graves violations des droits humains", accusations jugées nulles et non avenues par Téhéran.
Son nom est associé aux exécutions massives de centaines de détenus de gauche en 1988, à l'époque où il était procureur adjoint du tribunal révolutionnaire de Téhéran. Amnesty International a dénoncé son élection à la présidence, jugeant qu'il devrait faire l'objet d'une enquête pour "crimes contre l'humanité" et "répression brutale" des droits humains. "En termes d'image, ça ne va pas être simple à gérer et il n'est pas impossible que cela entrave ses déplacements internationaux, dans la mesure où il faudrait par exemple que Washington accepte de lever les sanctions qui le visent personnellement pour qu'il soit en mesure de se rendre à l'assemblée générale de l'ONU dans le cadre de ses nouvelles fonctions. Ce qui est loin d'être acquis", estime David Rigoulet-Roze.