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La mission chinoise Chang’e-5, qui est partie mardi, veut rééditer un exploit vieux de plus de 40 ans : rapporter du sol lunaire. Un objectif à la dimension géopolitique évidente, mais dont l’aspect scientifique est tout aussi essentiel.

Elle a décollé, mardi 24 novembre, dans ce qui ressemble beaucoup à un nouvel épisode de l'affrontement sino-américain pour définir qui sera la puissance dominante du XXIe siècle. Cette fois-ci, la Chine défie les États-Unis dans l'espace avec le lancement de la mission lunaire Chang'e-5. 

Pékin s'est fixé un objectif symboliquement fort : ramener des échantillons de Lune sur Terre. “Cela fait quarante ans que cela n'avait pas été fait”, rappelle Jessica Flahaut, chargée de recherche au CNRS et spécialiste de la Lune, contactée par France 24. 

Un avant et un après Chang'e-5 ?

La dernière fois remonte aux prestigieuses missions américaine Apollo et soviétique Luna, dans les années 1970 au plus fort de la Guerre froide. “Il y avait eu un avant et un après Apollo”, souligne Frédéric Moynier, un astrophysicien à l'Institut physique du Globe de Paris qui étudie encore aujourd'hui de la roche lunaire ramenée par Apollo, contacté par France 24. 

Les échantillons ramenés par les Américains ont permis de mieux comprendre la formation de la Lune, d'élaborer des hypothèses solides sur le fait qu'il s'agirait d'un bout de Terre  et d'avoir une idée plus ou moins précise de l'âge de cet astre, communément évalué aujourd'hui à au moins 4,4 milliards d'années. 

Y'aura-t-il, de la même manière, un avant et un après Chang'e-5 ? “Il est trop tôt pour pouvoir le dire, mais jusqu'à présent chaque retour d'échantillons, que ce soit de la Lune ou d'un astéroïde, a bouleversé notre compréhension de l'univers”, souligne Patrick Michel, astrophysicien au Laboratoire J.-L. Lagrange de l'Observatoire de la Côte d'Azur, contacté par France 24.

Avec Chang'e-5, les Chinois espèrent ramener deux kilogrammes de sol lunaire avant la fin de l'année. Mais ce n'est pas tant la quantité qui compte, que l'endroit où ces matériaux lunaires vont être prélevés. Tous les échantillons analysés depuis les années 1970 viennent de la même zone, vieille d'un peu plus de trois milliards d'années, où les Américains et les Russes se sont succédé. En d'autres termes, notre compréhension de l'histoire de la formation de la Lune “ne provient que d'un espace limité [sur cet astre, NDLR]”, résume Patrick Michel.

Les Chinois vont alunir plus au nord, dans la région du Mons Rümker, un massif montagneux situé dans “l'une des mers lunaires les plus jeunes, qui date d'environ 1,2 milliard d'années”, souligne Jessica Flahaut. L'analyse des échantillons permettra ainsi d'avoir un autre point de repère, beaucoup plus récent, pour comprendre l'histoire de cet astre.

Mieux dater les surfaces des planètes

Et ce n'est pas qu'une question à même de fasciner les scientifiques qui ont la tête dans la Lune. Cet objet céleste a, en effet, la particularité de s'être figé dans le temps il y a environ quatre milliard d'années, ce qui fait que “la Lune est un enregistreur parfait de tous les événements de l'Histoire de l'univers qui ont laissé des traces à sa surface”, note Patrick Michel. Analyser des échantillons de sol lunaire revient, en quelque sorte, à interroger la mémoire des temps anciens de notre système solaire, poursuit cet astrophysicien.

Ce n'est pas tout. La mission Chang'e-5 permettra aussi de vérifier la validité du système de datation des surfaces des planètes utilisé par les astrophysiciens depuis le retour sur Terre des premiers échantillons de Lune au début des années 1970. Les scientifiques estiment, en effet, l'âge d'un endroit sur Mars ou Mercure, par exemple, en regardant la densité des cratères qui s'y trouvent. “Plus il y a en a plus c'est vieux”, résume Frédéric Moynier. Pour les dater plus précisément, on se réfère à “l'étalon Lune” qui a été “calibré en fonction du nombre de cratères sur les sites d'alunissage des missions Apollo dont on connaît l'âge précis grâce à l'analyse des échantillons”, souligne Jessica Flahaut. Les prélèvements fait par Chang'e-5 permettront “d'améliorer ce modèle de datation”, assure cette scientifique du CNRS.

Mais pour Jessica Flahaut, l'avantage principal de la mission chinoise est que les ambitions affichées par Pékin ont relancé l'intérêt pour l'exploration lunaire au niveau mondial. C'est tout particulièrement vrai pour les États-Unis qui, sous Donald Trump, ont fait de la concurrence tous azimuts avec la Chine l'un des axes principaux de leur politique étrangère. C'est ainsi que le président sortant avait, fin 2017, chargé la Nasa de repartir à la conquête de la Lune.

Reste à savoir où aller la prochaine fois. La Chine a déjà son idée après Chang'e-5 : elle voudrait ramener des échantillons de la fameuse et encore très mystérieuse face cachée de la Lune. Pékin a déjà réussi l'exploit, en janvier 2019, d'y alunir la sonde Chang'e-4. Mais savoir ce qu'il y a sous la surface de cet hémisphère presque constamment dans l'ombre est l'un des principaux défis scientifiques des années à venir, estime Frédéric Moynier. Et peut-être aussi économique : après tout “c'est là qu'on pense pouvoir trouver les principales ressources exploitables”, souligne l'astrophysicien à l'Institut physique du Globe de Paris.

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