
En grande difficulté, la SNCF reste dans l'attente d'une aide du gouvernement au-delà du déconfinement. Des voix s'élèvent dans l’opposition et chez les syndicats pour demander un soutien financier d'ampleur, égal à celui apporté pour sauver Air France.
Après l'aide exceptionnelle de 7 milliards d'euros accordée par le gouvernement à Air France-KLM, la SNCF a appelé l'État français à la rescousse. Pour l'entreprise de transport, qui a déjà perdu 2 milliards d'euros à cause des conséquences de la crise sanitaire liée au Covid-19, le déconfinement amorcé le 11 mai, ne rime pas avec une reprise normale de ses activités, estimée au mieux pour juin, en fonction de l'évolution de la crise sanitaire.
Les règles de distanciation dans les transports en commun et la limitation des déplacements à moins de 100 km imposée par le gouvernement ne permettent pas de relancer ses ventes. Seul un train sur deux circule et la compagnie doit se limiter à ne proposer qu'un siège sur deux.
La SNCF va devoir réduire ses investissements et serrer ses coûts de fonctionnement, affirmait samedi 2 mai le PDG de l'entreprise ferroviaire, Jean-Pierre Farandou. Mais, ajoutait-il, la SNCF pourrait également se tourner vers son actionnaire principal, en l'occurrence l'État, pour restaurer la balance de ses comptes. "La notion d'un plan d'aide à la SNCF ne me paraît pas déraisonnable", déclarait Jean-Pierre Farandou, rappelant que l'État était son principal actionnaire et qu'il y avait eu des plans d'aides pour Air France et Renault.
"L'État ne peut pas laisser tomber la SNCF"
Les syndicats sont eux aussi montés au créneau, interpellant à leur tour le gouvernement. Le secrétaire général de la CGT-Cheminots, Laurent Brun, a appelé à une "compensation financière de l'État". "Quand vous limitez à la fois le nombre" de trains et "le nombre d'usagers qui peuvent être présents, forcément vous réduisez considérablement les recettes de l'entreprise", a-t-il insisté.
"L'État ne peut pas laisser tomber la SNCF, elle va lui venir en aide, c'est inévitable", estime Marc Ivaldi, spécialiste de l'économie industrielle des transports, interrogé par France 24. "Toutefois, cela pose des questions juridiques, comme cela a été le cas pour Air France", explique le professeur à la Toulouse School of Economics et expert auprès de Nera Economic Consulting. Les emprunts conventionnés par la France doivent être approuvés auparavant par la direction générale de la concurrence de la Commission européenne.
D'après l'économiste, il ne devrait pas y avoir de surprise. "Jusqu'ici, à ma connaissance, les décisions européennes ont appuyé les États dans leur volonté d'intervenir dans leur économie".
Une aide à venir, mais pas d'empressement
À la suite de l'appel à la rescousse lancé par Jean-Pierre Farandou, le gouvernement a envoyé des signaux positifs, se montrant ouvert à une aide, mais peu enclin à s'engager sur un montant, ni sur une échéance précise.
"On va (...) trouver les solutions pour que la SNCF qui fait partie de notre patrimoine national, qui est indispensable à beaucoup de Français, qui a rôle très important pour permettre les déplacements avec peu de CO2, puisse continuer à rendre le meilleur service aux Français, puisse poursuivre ses investissements", a affirmé le 4 mai la ministre française des Transports et de la Transition écologique, Élisabeth Borne."On a dit qu'on soutiendra nos entreprises, nos emplois et par ailleurs nos grandes entreprises stratégiques : on ne souhaite pas qu'ils soient en difficulté", a-t-elle ajouté.
Des propos confirmés du bout des lèvres par Gérald Darmanin. Interrogé par BFMTV sur le montant qu'un tel soutien pourrait impliquer, le ministre de l'Action et des Comptes publics avait répondu : "Oui, l'État aidera la SNCF. Pour quel montant ? On ne le sait pas encore".
La veille pourtant, Gérald Darmanin avait suscité l'indignation dans les rangs de l'opposition en déclarant que "l'État [aidait] déjà beaucoup la SNCF puisque plus de 100 000 agents de la SNCF sont en chômage partiel". Il avait demandé à "chacun" de "faire des efforts". Et d'ajouter : "L'État ne peut pas tout compenser à l'euro près pour tout le monde".
#Honte : l’État français accorde 7 milliards d'aides à AirFrance, gros émetteur de #CO2 alors que la @SNCF qui est du côté de la lutte contre le #réchauffement climatique et transporte annuellement autant de passagers ne recevra rien ...https://t.co/sEmoSSOenR
— Karima Delli (@KarimaDelli) May 6, 2020Féroce concurrence dans les airs
Pourquoi l'État réserverait-il un traitement différent à la SNCF après avoir secouru Air France ? Pour Marc Ivaldi, cela tient au statut des deux entreprises et à l'existence d'une concurrence féroce sur le marché aérien, inexistante sur le rail français. "Il est normal que l'État ait été plus vigilant avec Air France, car sa situation aurait pu entraîner des distorsions de concurrence avec d'autres compagnies aériennes".
Autre explication, la crise sanitaire liée au Covid-19 a frappé plus durement le secteur aérien. "On a senti dès le début de la crise que c'est le trafic aérien qui allait être le plus impacté. D'ailleurs, la plupart des avions sont toujours cloués au sol et l'aéroport d'Orly reste fermé", souligne Marc Ivaldi.
Le gouvernement a par ailleurs envoyé des signaux positifs en direction de la SNCF, contraignant la compagnie aérienne à abandonner certaines lignes intérieures en échange des 7 milliards accordés. "D'une certaine manière, l'État demande à Air France de ne pas assurer des services que pourrait faire la SNCF", estime le spécialiste.
25 milliards d'euros accordés à la SNCF en 2020
Si l'aide exceptionnelle est accordée, ce ne sera pas la première fois que le gouvernement intervient en faveur de la SNCF cette année. L'exécutif a déjà pris en charge 25 milliards d'euros pour éponger la dette de la compagnie au 1er janvier et prévoit de reprendre 10 milliards supplémentaires en 2022. "Que l'État aide la SNCF en plus de ce qui a été fait ne paraît pas contradictoire", estime Marc Ivaldi, soulignant les efforts de la société ferroviaire amorcés avant la pandémie. "La SNCF avait lancée des plans d'investissement, des réorganisations… Tout ça était en cours avant que le ciel ne tombe sur la tête de Jean-Pierre Farandou."
Or ces plans d'investissements risquent d'être gelés sans cette aide attendue par l'État. Ils sont pourtant cruciaux. La SNCF doit être prête pour 2021, année qui signe l'ouverture à la concurrence du transport national de voyageurs sur les rails. Pour l'heure, le calendrier n'a pas été repoussé.