L'ex-patron de Renault et Nissan s'est rendu à Beyrouth, au Liban, fuyant le Japon où il était assigné à résidence. Il cherche, selon lui, à échapper à l'"injustice et la persécution politique" du système judiciaire japonais. Son avocat se dit "abasourdi" et affirme n'avoir eu aucun contact avec son client depuis son départ.
Coup de théâtre dans l'affaire Carlos Ghosn : le magnat déchu de l'industrie automobile a confirmé, mardi 31 décembre, se trouver au Liban. Il est arrivé dimanche soir à l'aéroport de Beyrouth, selon une information de France 24. L'ex-patron de Renault et de Nissan était pourtant assigné à résidence à Tokyo, au Japon, où il est sous le coup de quatre inculpations pour corruption.
Dans un communiqué, Carlos Ghosn affirme qu'il cherche à échapper à l'"injustice et à la persécution politique" du système judiciaire japonais. "Je ne suis plus l'otage d'un système judiciaire japonais partial où prévaut la présomption de culpabilité", a-t-il écrit. "Je peux enfin communiquer librement avec les médias, ce que je ferai dès la semaine prochaine."
"Selon des sources citées par plusieurs médias au Liban, Carlos Ghosn serait arrivé dimanche soir au Liban, à bord d'un jet privé en provenance de Turquie", rapporte Zeina Antonios, correspondante de France 24 à Beyrouth. Aucune information ne filtre cependant sur la façon dont l'ancien patron de Renault et Nissan a pu partir du Japon et arriver en Turquie.
Carlos Ghosn est entré au Liban à l'aide d'un passeport français, rapportait mardi la chaîne libanaise MTV, citant une source officielle. Cette source a également déclaré que le Liban traitait Carlos Ghosn, conformément aux "accords internationaux", sans plus de précision.
"Ici à Tokyo, c'est la stupéfaction, c'était l'homme le plus surveillé", affirme Constantin Simon, correspondant de France 24 à Tokyo. "À chacun de ses déplacements, des hommes en civil le suivaient, des caméras de surveillance filmaient son domicile. Or il n'y a pas de trace du nom Carlos Ghosn sur les documents de l'immigration japonaise."
Le Japon n'a pas d'accord d'extradition avec le Liban, selon le ministère japonais de la Justice, ce qui rend peu probable que Carlos Ghosn soit contraint par les autorités libanaises de retourner à Tokyo pour son procès.
La France informée par la presse
Cette fuite s'est organisée apparemment sans prévenir le principal avocat japonais de Carlos Ghosn, qui déclare être "abasourdi" par le départ de son client du Japon, "qu'il a appris par la presse". L'avocat juge l'attitude de son client "inexcusable" et affirme qu'il est toujours en possession de tous les passeports de Carlos Ghosn.
Les réactions dans la presse libanaise sont plutôt neutres, pour l'instant, relate la correspondante de France 24 à Beyrouth. Par le passé, le Liban avait montré des signes de sympathie, voire d'admiration, pour cet homme de la diaspora qui avait réussi dans le milieu des affaires. "Lorsqu'il a été arrêté en 2018 au Japon, il y a eu une campagne publicitaire de soutien à son endroit, avec le slogan 'Nous sommes tous Carlos Ghosn'. Il a même eu des timbres à son effigie", rappelle la journaliste Zeina Antonios.
Au Japon, en revanche, "il est ‘carbonisé'", résume Jean-Yves Colin, spécialiste du Japon au Centre de recherche de l'Asie contemporaine. "Pour la justice, il est définitivement coupable. Pour le monde politique, il sera définitivement coupable. Même verdict dans la presse et dans l'opinion publique. Ce départ est perçu comme un aveu de culpabilité", poursuit le consultant. "La relative neutralité de la presse libanaise montre bien l'embarras qui saisit tous les observateurs de l'affaire. Il y aura désormais un problème diplomatique entre le Japon et le Liban, et sans doute aussi avec la France. Il y aura des pressions japonaises pour obtenir le rapatriement de Carlos Ghosn", prédit Jean-Yves Colin.
Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Économie et des Finances, a déclaré sur la radio France Inter, mardi matin, être "très surprise" et avoir appris "par la presse" la présence de Carlos Ghosn au Liban. "Nous avons un devoir de soutien consulaire avec les ressortissants français", a expliqué la secrétaire d'État, ajoutant que "M. Ghosn est un citoyen comme les autres", tout en rappelant qu'il "n'est pas au-dessus des lois". Selon Agnès Pannier-Runacher, "si un ressortissant étranger fuyait la justice française, on serait très fâché".
Cette position a été réitérée par le ministre de l'Intérieur Christophe Castaner qui, en marge d'un déplacement dans les Yvelines, a affirmé mardi que "personne, quelle que soit sa nationalité, ne doit s'exonérer de la bonne application de la loi."
Le ministère français des Affaires étrangères a précisé, mardi, n'avoir pas été informé du départ de l'ancien dirigeant de Renault-Nissan du Japon. "Les autorités françaises ont appris par la presse l'arrivée de Carlos Ghosn au Liban. Celui-ci faisait l'objet de poursuites judiciaires au Japon, avec des mesures destinées à éviter qu'il ne quitte le territoire japonais", a indiqué le Quai d'Orsay dans un communiqué laconique. "Les autorités françaises n'ont pas été informées de son départ du Japon et n'ont eu aucune connaissance des circonstances de ce départ".
La chute du "sauveur de Nissan"
Celui qui était salué comme "le sauveur de Nissan" après son arrivée dans le groupe en 1999 avait été arrêté le 19 novembre 2018 à son arrivée dans la capitale japonaise. Carlos Ghosn a passé au total 130 jours en détention provisoire.
Relâché sous caution au printemps, il était assigné à résidence à Tokyo. La justice japonaise avait rejeté toutes les demandes visant à assouplir les conditions de sa libération sous caution, notamment l'interdiction de contacter son épouse.
Carlos Ghosn est sous le coup de quatre inculpations : deux pour des revenus différés non déclarés aux autorités boursières par Nissan (qui est aussi poursuivi sur ce volet) et deux pour abus de confiance aggravé. Sa défense nie toute malversation. "Les accusations portées contre M. Ghosn sont le fruit d'une collusion illicite entre les procureurs, des membres du ministère de l'Économie, du Commerce et de l'Industrie (Meti) et des dirigeants de Nissan, qui ont formé une 'task force' secrète chargée de rechercher à imputer artificiellement des actes répréhensibles à Carlos Ghosn", avait expliqué en octobre dernier ses avocats dans un communiqué.
Selon eux, l'objectif de cette manœuvre était clair : "Écarter M. Ghosn pour l'empêcher de mener à bien une intégration renforcée entre Nissan et Renault, qui aurait menacé l'autonomie de l'un des fleurons de l'industrie japonaise, passé sous pavillon français".
Carlos Ghosn a été éjecté de ses sièges de président de Nissan et de Mitsubishi Motors (3e membre de l'alliance) dans les jours suivant son interpellation. Il a ensuite démissionné de Renault, avant même que d'autres investigations ne soient menées en France à son encontre. Lui et ses avocats accusent aussi les enquêteurs japonais d'avoir sous-traité une partie de leur travail à "des consultants et cadres de Nissan" afin d'obtenir des documents préjudiciables à l'ex-patron de Renault.
Né au Brésil en 1954, Carlos Ghosn possède les nationalités brésilienne, française et libanaise. Il a débuté sa carrière chez Michelin, avant d'entrer chez Renault. Il a rejoint Nissan en 1999, après l'acquisition par le constructeur automobile français d'une participation dans le groupe japonais. Il en a été PDG de 2001 à 2017.
Avec AFP et Reuters