
L'ancien chantre de la démocratie en Birmanie Aung San Suu Kyi a déclaré, mercredi, devant la Cour internationale de justice (CIJ) que la Gambie avait dressé un "tableau trompeur et incomplet" de la situation des Rohingya. La cheffe du gouvernement représente son pays, accusé par la Gambie de "génocide" contre cette minorité musulmane.
La cheffe du gouvernement birman Aung San Suu Kyi a pris la parole, mercredi 11 décembre, devant la Cour internationale de justice (CIJ), où elle représente son pays, accusé par la Gambie de "génocide" contre les Rohingya. La lauréate du prix Nobel de la paix en 1991, a estimé que le pays africain avait dressé un "tableau trompeur et incomplet" à la CIJ sur la situation de la minorité musulmane, ajoutant que "l'intention génocidaire" ne pouvait pas être la "seule hypothèse".
"Malheureusement, la Gambie a présenté à la Cour un tableau trompeur et incomplet de la situation dans l'État de Rakhine", a-t-elle affirmé lors de l'audience.
La cheffe de facto du gouvernement birman a admis devant les juges de la Cour que l'armée avait peut-être utilisé une "force disproportionnée", mais cela ne prouve pas qu'elle avait eu l'intention d'exterminer le peuple rohingya, a-t-elle estimé. "Certainement dans les circonstances, l'intention génocidaire ne peut pas être la seule hypothèse".
Aung San Suu Kyi est à la tête de la délégation birmane devant la CIJ. Elle mène elle-même la défense de son pays, à majorité bouddhiste, mis en cause par la Gambie pour les massacres et persécutions contre la minorité musulmane des Rohingya.
Un démenti d'Aung San Suu Kyi serait "extrêmement décevant", selon la Gambie
L'accusation de la Gambie est issue d'un mandat des 57 États membres de l'Organisation de la coopération islamique, qui estime que la Birmanie a violé la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, un traité de droit international approuvé en 1948.
Mardi 10 décembre, le ministre gambien de la Justice, Abubacarr Tambadou, a déclaré aux journalistes qu'il serait "extrêmement décevant" qu'Aung San Suu Kyi démente à nouveau tout acte répréhensible envers les Rohingya.
La Gambie demande à la CIJ, organe judiciaire principal des Nations unies, des mesures d'urgence pour mettre fin aux "actes de génocide en cours" en Birmanie, en attendant que soit rendu l'arrêt sur le fond de l'affaire. Ce jugement pourrait prendre plusieurs années.
Depuis août 2017, quelque 740 000 Rohingya se sont réfugiés au Bangladesh pour fuir les exactions de l'armée birmane et de milices bouddhistes, qualifiées de "génocide" par des enquêteurs de l'ONU.
Sanctions américaines
Les avocats de la Gambie ont dénoncé mardi l'apparition d'énormes panneaux d'affichage à travers la Birmanie ces dernières semaines, montrant Aung San Suu Kyi avec trois généraux de l'armée birmane souriants.
Pour l'avocat Paul Reichler, cela montre que ces derniers sont "tous impliqués" dans les exactions commises à l'encontre des Rohingya. Cela prouve "que la Birmanie n'a absolument aucune intention de tenir ses dirigeants militaires pour responsables", a-t-il affirmé.
Quelques heures après la première audience à la CIJ, les États-Unis ont renforcé leurs sanctions contre le chef de l'armée birmane pour les meurtres à grande échelle de musulmans rohingya. Ces sanctions s'inscrivent dans une large série de mesures punitives annoncées par Washington à l'occasion de la Journée mondiale des droits de l'Homme.
Le commandant en chef de l'armée birmane, Min Aung Hlaing, son numéro deux Soe Win et les généraux Than Oo et Aung Aung étaient déjà depuis juillet sous le coup d'une interdiction d'entrée aux États-Unis pour leur rôle dans le "nettoyage ethnique" de la minorité rohingya dénoncé par le gouvernement américain.
Encore citée aux côtés de grand noms comme Nelson Mandela et Mahatma Gandhi dans un passé pas si lointain, Mme Suu Kyi, âgée de 74 ans, a vu son image ternie depuis qu'elle a pris la défense des généraux de l'armée birmane.
Elle peut cependant se targuer d'un large soutien dans son pays. Quelque 250 sympathisants de la dirigeante birmane étaient d'ailleurs rassemblés devant le Palais de la Paix, où siège la CIJ, brandissant des pancartes avec le visage d'Aung San Suu Kyi et les mots : "Nous sommes à vos côtés".
Avec AFP