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Au Royaume-Uni, dans la circonscription "baromètre" d’Erewash, le Brexit dans toutes les têtes

Depuis que la circonscription d’Erewash a été créée en 1983, le parti vainqueur localement a également remporté les élections générales au Royaume-Uni. À quelques jours de celles du 12 décembre, France 24 a rencontré des électeurs et des élus de cette terre qui s’était prononcée en faveur du Brexit au référendum de 2016.

Située en plein centre de l’Angleterre, majoritairement peuplée d’électeurs de la classe moyenne, Erewash est une circonscription "baromètre". Les électeurs ont plébiscité Margaret Tchatcher et son programme de mobilité sociale dans les années 1980, puis se sont tournés vers le Labour lorsque Tony Blair a contribué à donner à son parti une réputation de compétence économique. Ils ont renoué avec le vote conservateur aux élections de 2010.

Traditionnellement, ils ont tendance à voter pour la formation vue comme la plus compétente au plan économique. Mais cela se complique à l’approche des élections du 12 décembre, car contre toute attente Erewash a largement voté en faveur du Brexit lors du référendum de juin 2016, au risque de saper la prospérité de la région.

Le déclin de l’industrie lourde a ici entraîné une hausse de la précarité. Mais, lorsque la mondialisation a gagné du terrain vers la fin du vingtième siècle, de nombreux électeurs du cru ont bénéficié, économiquement, des accords de commerce avec l’Union européenne. Des entreprises internationales sont aujourd’hui des employeurs de premier plan : Toyota et Rolls-Royce dans la ville de Derby, ainsi que Deloitte et Capital One à Nottingham, deux villes à une quinzaine de kilomètres de là.

Débat "toxique" sur le Brexit

Dans ce contexte, il peut paraître surprenant qu’Erewash ait voté à 62 % pour le Brexit lors du référendum. "Certes, les gens n’ont pas voté pour la perte de leur emploi, ce qui représente une probabilité potentiellement élevée, en fonction de ce qui se passera après les élections [du 12 décembre]", analyse un représentant syndical de la région East Midlands, qui n’a pas voulu que son nom apparaisse. S’ils sont mis en œuvre, les plans du Premier ministre conservateur Boris Johnson risquent en effet d’aboutir à un Brexit sans accord, qui pourrait être préjudiciable pour l'économie locale.

"Mais le débat sur le Brexit est devenu toxique, on ne peut pas avoir de discussion raisonnable", regrette le syndicaliste. "La dernière fois que nous avons voulu aborder la question, nous avons été hué, les gens criaient 'Nous ne voulons pas parler de ça !'."

Le parti travailliste est le principal adversaire de la députée locale sortante, la conservatrice Maggie Throup. Le Labour de Jeremy Corbyn propose désormais un nouveau referendum sur le Brexit, dans lequel le dirigeant du Labour ne prendrait pas parti. Et avec une option "Leave" qui permettrait malgré tout de maintenir le Royaume-Uni dans l’union douanière.

Diane Fletcher, conseillère municipale travailliste dans la ville de Long Eaton, estime que c’est une proposition qui peut séduire les tenants du Brexit, dans une zone où les problèmes économiques sont au centre des débats.

"Tous les 'Leavers' ne souhaitaient pas un Brexit dur", poursuit-elle. "Beaucoup de localités, dont Ilkeston, la plus importante de la circonscription d’Erewash, doivent leurs emplois et leur prospérité à des investissements des entreprises européennes, et indubitablement certains partisans du 'Leave' s’attendent à ce que cela perdure, ce qui sera le cas dans le cadre d’un Brexit ‘doux’".

Le Premier ministre Boris Johnson "pieds et poings liés"

Cependant, d'autres électeurs d'Erewash abordent la perspective d'un second référendum sous un jour très différent. "Corbyn ne peut pas dire ce qu’il pense du Brexit ; il est très mauvais", estime ainsi une retraitée de la localité, qui a préféré rester anonyme. "Cela montre simplement qu'il n’est pas capable de mettre de l’ordre dans son parti, et encore moins dans le pays", a-t-elle poursuivi.

Ron, un fonctionnaire à la retraite qui a préféré ne pas donner son nom de famille, s’indigne que le Parlement ait bloqué la sortie de l’UE au 31 octobre, comme le souhaitait Boris Johnson : "Le pays a clairement voté pour une sortie de l’UE, et Boris n’avait pas d’autre option que celle d’appeler à de nouvelles élections, parce que tout ce qu’il a tenté a été systématiquement  contrecarré".

À quelques kilomètres, Cliver Toone, un ancien mineur et homme d’affaires de la circonscription voisine d’Amber Valley, avance le même point de vue. Très semblable à Erewash, Amber Valley constitue également un baromètre des élections générales et le Brexit l’a emporté lors du référendum. "Je pense que nous devrions défendre la volonté du peuple britannique et aller jusqu’au bout. Boris Johnson a eu les pieds et poings liés. Depuis qu'il est devenu Premier ministre, il n'a pas pu mener le Brexit à son terme car il en a toujours été empêché par le Parlement. Qu’on l’aime ou qu’on le déteste, si on lui laisse une chance, il fera un bon travail", estime Cliver Toone.

“L’impact psychologique" de la frontière Irlande du Nord - République d'Irlande

Depuis qu'il est devenu locataire du 10 Downing Street en juillet, Boris Johnson n’a cessé de surprendre ses admirateurs comme ses détracteurs. Pendant quelques mois, il a discouru avec insouciance sur le départ du Royaume-Uni de l'UE sans accord de retrait. Mais juste avant l'échéance de fin octobre, l'ancien maire de Londres a arraché un compromis avec Dublin et Bruxelles, proposant de garantir l’absence de frontière dure avec l’Irlande du Nord en instaurant des contrôles douaniers en mer d'Irlande.

Le Brexit implique une frontière terrestre entre l’Irlande du Nord, qui appartient au Royaume-Uni, et la République d’Irlande, membre de l’Union europénne. Cette frontière n’a commencé à retenir l’attention des électeurs de la circonscription d’Erewash que lorsqu'elle est devenue le principal point de blocage des négociations sur le Brexit.

Dans la région, c’est une chose que beaucoup de partisans du Brexit n’avaient pas anticipée. "La plupart d’entre nous n’avons jamais vraiment envisagé la question irlandaise", reconnaît Ron.

Traditionnellement, l’Irlande constituait la plus importante source d’immigration dans la région, comme en témoignent les nombreux élèves au patronyme irlandais au sein des écoles catholiques locales.

Brent Poland, enseignant depuis 16 ans, est candidat écologiste dans la circonscription d'Erewash. Il est originaire de Warrenpoint, une ville d’Irlande du Nord à majorité républicaine à la frontière avec le voisin du sud. Il a grandi dans une famille catholique à l'apogée du conflit. 

Brent Poland déplore que de nombreux Brexiters n’aient pas mesuré les risques d’une nouvelle fracture physique entre les deux Irlande. "Ce qui m'agace, c'est qu'ils n’aient pas perçu l'impact psychologique de cette frontière pendant les troubles", pointe-t-il. "C'est comme le mur de Berlin, ce n'était pas simplement une barrière physique; c'était un symbole psychologique. Imaginez que vous remettiez le mur au centre de Berlin. Quel genre d'impact cela aurait-il sur les gens ?"

Sous la bannière des Verts, il souhaite séduire les électeurs du parti conservateur – et ce même si cette formation a pris le risque d’une frontière dure avec l’Irlande. Dans l'Erewash, il veut consolider le vote vert, alors que ce parti n’a obtenu que 675 voix aux dernières élections.

"Aussi étrange que celui puisse paraître, je m’entends bien avec les électeurs 'tories' ", dit-il. "Souvent, les gens votent Tory parce que ça les rassure. Je parle avec plein d’électeurs conservateurs des changements  inquiétants que les politiques conservatrices ont provoqué dans la région, comme la privatisation des écoles, les coupes budgétaires dans les hôpitaux locaux, le projet de nouvelle ligne de chemin de fer à grande vitesse qui couperait Long Eaton en deux. Beaucoup finissent par dire que la seule chose sur laquelle ils ne sont pas d'accord avec moi, c’est le Brexit."

Texte traduit par Françoise Marmouyet, initialement publié sur le site anglais de France 24.