Au cours de la procédure de destitution du président américain Donald Trump, les républicains ont invoqué une théorie du complot largement réfutée. Cette stratégie vise à préparer la réélection de Donald Trump.
"C'est de la fiction", une "réalité alternative". Fiona Hill, responsable des affaires russes au Conseil de sécurité nationale, a vertement critiqué les élus républicains jeudi 21 novembre, au dernier jour des auditions publiques de la procédure de destitution lancée par les démocrates contre le président américain, suspecté d'avoir fait pression sur l'Ukraine pour enquêter sur son potentiel adversaire à la présidentielle, Joe Biden. Cette experte de l'Europe de l'Est en avait assez d'entendre, depuis le début de semaine, le camp pro-Trump répéter avec sérieux une théorie du complot dans laquelle l'Ukraine tient le mauvais rôle.
Selon cette théorie, la procédure de destitution serait le dernier acte d'une vaste campagne menée depuis 2016 par les démocrates avec la complicité de responsables ukrainiens corrompus pour faire tomber Donald Trump. Devin Nunes, qui a mené la charge pour les républicains durant les auditions, en a fait sa marotte : "le président a de bonnes raisons de soupçonner une ingérence ukrainienne dans les élections américaine de 2016", a-t-il affirmé mercredi 20 novembre, au troisième jour des auditions publiques.
Cette théorie rend l'Ukraine responsable du piratage des emails des démocrates durant la campagne présidentielle de 2016. Kiev aurait ensuite essayé de faire porter le chapeau à la Russie, tandis que des démocrates sont accusés d'avoir travaillé avec des Ukrainiens pour trouver des éléments compromettants sur Donald Trump, comme des photos du président dans le plus simple appareil…
Des Ukrainiens corrompus et Donald Trump nu
Plusieurs agences américaines de renseignements, le rapport Mueller et la majorité des médias américains contredisent ces déclarations depuis plus de deux ans. Pourtant cette théorie a la vie dure. Issue de la toile conspirationniste en 2016, elle s'est frayée un chemin jusqu'au bureau ovale par l'intermédiaire de Paul Manafort, l'ex-directeur de campagne de Donald Trump, et Rudy Giuliani, l'avocat personnel du président. Le locataire de la Maison Blanche en a même parlé avec son homologue ukrainien Volodymyr Zelenski lors du fameux coup de fil du 25 juillet, qui se retrouve au cœur de la procédure de destitution.
Les partisans de cette théorie évoluaient jusqu'à présent surtout dans l'entourage proche de Donald Trump, tandis que le commun des républicains au Congrès ne semblait pas y adhérer. Jusqu'aux auditions publiques de ces deux dernières semaines. Plus les témoins appelés à comparaître fragilisaient la défense du président, plus les républicains se sont tournés vers cette théorie du complot.
"C'est un nouveau contre-feu allumé par les républicains", explique Jean-Éric Branaa, spécialiste des États-Unis à l'université Paris II, contacté par France 24. Et pour cet expert, cette ligne de défense, aussi farfelue soit-elle en apparence, peut s'avérer très efficace. "Une partie des Américains, qui ne s'intéressent que peu à la politique, veulent une information facile à digérer, et une théorie du complot permet de tout expliquer en quelques phrases", résume-t-il.
Lancer la campagne de réélection de Donald Trump
Elle a aussi l'avantage de renouveler le suspense de cette procédure de mise en accusation qui commençait à tourner en rond, entre les démocrates qui répétaient que Donald Trump s'est rendu coupable du "quid pro quo" (un prêté pour un rendu) et les républicains qui soutenaient qu'il n'y avait pas de preuve directe d'un tel comportement. Ce rebondissement complotiste permet de maintenir l'attention des médias sur la procédure, "ce qui joue politiquement en faveur du président car, entre-temps, personne ne s'intéresse à ce que proposent les candidats à la primaire démocrate", souligne Jean-Éric Branaa.
Loin d'être la manœuvre de la dernière chance d'un camp pro-Trump à court d'argument, le recours à cette théorie du complot est, d'après cet expert, le signe que les républicains ont décidé d'utiliser les auditions publiques comme tribune pour lancer la campagne de réélection du président sortant. "C'est un argument porteur auprès de la base de l'électorat de Donald Trump et une manière de les motiver à aller voter", note le politologue de l'université Paris II.
Il rappelle que l'un des défis majeurs pour les républicains est l'usure du pouvoir qui peut éroder la motivation des électeurs à aller mettre un bulletin dans l'urne. Aux États-Unis, l'abstention joue avant tout en défaveur du président sortant, et en dépeignant Donald Trump comme la victime d'un vaste complot démocrate, les élus républicains espèrent que sa base va voler à son secours. "Pour l'instant, les sondages d'opinion montrent que les 43 %, 44 % d'Américains favorables à Donald Trump, sont tous décidés à aller voter. C'est du jamais vu !", analyse Jean-Éric Branaa.
Jeter de l'huile sur le feu allumé par la Russe
À la barre des témoins jeudi, Fiona Hill a montré qu'elle n'était pas dupe. Cette spécialiste de la Russie ne s'est pas contentée de dénoncer le caractère farfelu de cette théorie du complot, elle a aussi souligné que les républicains jouaient un jeu dangereux. "Cette fiction que vous utilisez à des fins de politiques internes a été développée par les services de renseignements russes dans le but de semer la division entre les Américains", a-t-elle martelée.
Les républicains n'ont pas eu l'air affectés par cette accusation. Ils se disent peut-être qu'après tout, jouer le jeu des Russes en 2016 n'a pas empêché Donald Trump d'être élu et l'y a peut-être même aidé.