Si la tension monte entre Rome et Paris, c’est avant tout pour des raisons de politique interne, explique Pierangelo Isernia, professeur de science politique à l’université de Sienne. Dans le viseur de Salvini et Di Maio : les élections européennes.
Il y a tout juste un an, Emmanuel Macron était en Italie et promettait avec le Premier ministre italien de l’époque, Paolo Gentiloni, la signature avant la fin 2018 d’un traité d’amitié franco-italien. Douze mois plus tard, Rome accuse Paris de continuer à coloniser l’Afrique. Et Paris répond ne pas avoir l'intention de jouer au "concours du plus bête" avec l'Italie.
Les tensions s’exacerbent chaque jour un peu plus entre les deux capitales depuis que la coalition entre le parti d’extrême droite La Ligue et le parti anti-système du Mouvement 5 Étoiles a pris le pouvoir en Italie. L’exécutif français s’est habitué à ce changement de ton, mais les accusations du vice-Premier ministre italien Luigi Di Maio, dimanche 20 janvier, ont marqué une nouvelle escalade, provoquant la convocation au ministère des Affaires étrangères de l’ambassadrice italienne en France.
Le leader du Mouvement 5 Étoiles a accusé Paris "d’appauvrir l’Afrique" et d’aggraver la crise migratoire. "Si aujourd’hui il y a des gens qui partent, c’est parce que certains pays européens, la France en tête, n’ont jamais cessé de coloniser des dizaines de pays africains", a-t-il lancé, affirmant que le franc CFA, monnaie de 14 pays africains imprimée en France, "finance la dette publique française".
L’autre vice-Premier ministre italien, Matteo Salvini, lui a emboité le pas, mardi, estimant que "la France n’a aucun intérêt à stabiliser la situation" en Libye car elle y possèderait des intérêts liés au pétrole. Puis, mercredi, le patron de La Ligue s’en est pris directement à Emmanuel Macron : "J'espère que les Français pourront se libérer d'un très mauvais président", a-t-il écrit sur Facebook.
De son côté, Paris a laissé entendre ne pas souhaiter se lancer dans une guerre des mots ou dans des mesures de rétorsion. "Notre intention n'est pas de jouer au concours de celui qui est le plus bête", a déclaré la ministre française des Affaires européennes Nathalie Loiseau, à l'issue du Conseil des ministres, mercredi 23 janvier.
Entre amitié historique et élections européennes
Cette passe d’armes a choqué en Italie, notamment le président Sergio Mattarella et son Premier ministre Giuseppe Conte. Selon le quotidien de gauche La Repubblica, connu pour ses critiques à l’encontre de Matteo Salvini et Luigi Di Maio, Mattarella et Conte ont passé la journée de lundi à "recoller les morceaux d’une relation désormais en lambeaux".
Le bureau de Giuseppe Conte a tenté de désamorcer la crise, mardi, en publiant un communiqué assurant que "l’amitié historique avec la France et les Français n’était pas remise en cause" et que cette relation "reste forte et solide en dépit des différends politiques".
Ce discours modéré est toutefois étouffé en Italie par celui tenu par les deux vice-Premiers ministres. Matteo Salvini et Luigi Di Maio ont en ligne de mire les élections européennes et espèrent engranger des voix en tapant sur la France et son président europhile.
"Le discours souverainiste de Matteo Salvini n’est pas une surprise. Il a des alliés en Europe et une stratégie pour prendre le contrôle du Parlement européen", explique Pierangelo Isernia, professeur de science politique à l’université de Sienne en Italie, contacté par France 24. "En revanche, le M5S n’a pas d’alliés et ne sait pas vraiment où il va", ajoute-t-il.
Cibler la France pour faire "remonter sa cote de popularité"
Il y a moins d’un an, le parti de Luigi Di Maio était en effet en discussion avec La République en marche pour créer un groupe au Parlement européen. Mais aujourd’hui, Di Maio est en compétition avec Salvini pour être le critique le plus acerbe d’Emmanuel Macron et il soutient les Gilets jaunes. Une façon pour lui de tenter de retrouver l’esprit anti-système qui l’avait porté vers une victoire en Italie.
"Le Mouvement 5 Étoiles, encore plus que Matteo Salvini, a fait de la France une cible parfaite pour faire remonter sa cote de popularité auprès des Italiens, affirme Pierangelo Isernia. Nous sommes entrés dans une nouvelle ère de l’empoignade italienne avec l’Union européenne : la France a désormais remplacé l’Allemagne dans le rôle du responsable des problèmes italiens."
"Une rhétorique anti-française suicidaire"
La France n’est toutefois pas exempte de tout reproche, selon le professeur de science politique, qui rappelle qu’Emmanuel Macron a lancé les premières invectives en qualifiant d'"inhumaine" la politique italienne vis-à-vis des migrants et en parlant de la "lèpre nationaliste" qui s’étend selon lui sur l’Europe.
La décision française de fermer la frontière franco-italienne aux migrants a créé des embouteillages dans le nord de l’Italie et Paris est accusée de cynisme et de double discours. Les incursions en territoire italien de la police française pour empêcher les migrants de traverser les Alpes sont également peu appréciées côté italien. Et le dossier libyen demeure un sujet de tensions entre Paris et Rome, chaque exécutif souhaitant s’imposer comme le médiateur de référence des pourparlers de paix.
Mais endommager les liens qui unissent l’Italie à la France ne sera pas forcément payant pour la coalition au pouvoir, prévient Pierangelo Isernia, qui considère que "les Italiens auront du mal à voir la France, un allié traditionnel, comme un ennemi". Enfin, le gouvernement italien prend le risque, selon lui, de se priver d’un soutien potentiel sur les questions budgétaires face à Bruxelles. "La rhétorique anti-française est suicidaire pour les intérêts nationaux italiens", conclut-il.
Texte adapté par Romain Brunet. Pour lire la version originale, cliquez ici.