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L'Italien Andrea Orcel est passé du statut de banquier superstar à qui tout réussit à celui de financier au chômage. Les 50 millions d'euros exigés pour occuper le poste de PDG à Santander ont eu raison de sa candidature.
Trop cher, même pour un banquier hors pair. Le géant bancaire espagnol Santander a jugé qu'Andrea Orcel, l’un des financiers les plus réputés dans le monde des affaires, se montrait trop gourmand et a décidé, mardi 15 janvier, de se passer de ses services comme PDG.
Pourtant, la toute-puissante présidente de Santander, Ana Botin, avait personnellement annoncé l’arrivée d’Andrea Orcel en septembre 2018. La poule aux œufs d’or italienne du groupe suisse UBS, qui dirigeait sa banque d’investissement depuis 2012, était censée redorer le blason boursier de Santander. Mais la banque espagnole avait négligé un détail. Son ex-futur PDG réclamait un chèque de bienvenue de 50 millions d’euros pour compenser ce qu’il perdait en quittant son ancien employeur pour rejoindre un concurrent.
Le banquier qui susurre aux oreilles des PDG
Ana Botin pensait pouvoir convaincre UBS de payer une partie de cette somme, misant sur le fait que Santander est un client de longue date. Ce que la banque suisse a catégoriquement refusé. Pas question non plus pour Andrea Orcel de revoir ses prétentions à la baisse. "La somme demandée a été jugée inacceptable pour une banque commerciale comme Santander, en particulier au regard de ses valeurs et du respect dû à nos millions de clients et actionnaires", a fini par indiquer l’institution espagnole.
Un revirement qui a choqué le monde de la finance, souligne le quotidien britannique Financial Times. À ce niveau de responsabilités, les termes d’un contrat sont généralement ficelés à la virgule près pour éviter des mauvaises surprises. Et puis il s’agissait tout de même d’Andrea Orcel.
À 55 ans, cet Italien aux faux airs de George Clooney des salles de marché s’est taillé une solide réputation de banquier qui susurre aux oreilles des PDG. Il a conseillé des chefs d’entreprise et de multinationales dans des centaines de transactions, fusions ou acquisitions, tout au long de sa carrière débutée dans les années 1990 à Goldman Sachs avant de se poursuivre à Merrill Lynch, puis Bank of America et enfin UBS.
Ses qualités de banquier lui ont valu un bonus de 30 millions de dollars en 2008, alors même que la crise financière faisait trembler Wall Street. En 2014, deux ans après son arrivée à la tête de la banque d’investissement d'UBS, Andrea Orcel avait obtenu des résultats dépassant tous les objectifs fixés, ce qui lui a permis cette année-là de devenir le cadre le mieux payé du groupe, devant Sergio Ermotti, le PDG d'UBS.
Requin alpha de la finance
Ce banquier de haut vol n’a jamais fait mystère de sa volonté de passer de l’autre côté du miroir financier et devenir PDG, pour décider au lieu de conseiller. Décrit comme un requin alpha dans le monde de la finance, cet ambitieux a été pressenti à la tête de plusieurs banques italiennes, comme UniCredit ou Monte Paschi. Il faisait même parti des favoris pour devenir le prochain patron d’UBS.
Le poste de PDG de Santander semblait lui aller comme un gant. Andrea Orcel a longtemps été le conseiller financier d’Emilio Botin, l’ancien patron de la banque espagnole. Ce dernier avait même l’habitude de dire qu’il "considérait Andrea Orcel comme le fils qu’il n’avait jamais eu", raconte le Financial Times.
Mais impossible de signer un chèque de bienvenue de 50 millions d’euros. "S’il avait décidé de traverser la rue en Suisse pour travailler chez Crédit Suisse ou s’il avait été débauché par un établissement de la City de Londres, cette somme aurait pu être acceptée, mais c’était impossible en Espagne", souligne le site spécialisé Financial News. Marqués par des années de rigueur budgétaire, les Espagnols auraient eu du mal à accepter un tel cadeau à un banquier alors même que le salaire minimum est d’à peine 900 euros bruts par mois dans le pays.
Le refus d’Andrea Orcel de revenir sur tout ou partie de ses prétentions financières dénote aussi d’une "naïveté politique" qui pourrait suffire à le disqualifier pour occuper un poste aussi sensible que PDG de la plus grande banque d’Europe en termes de capitalisation boursière, analyse le site financier Fin News. Le banquier italien ne semble pas avoir conscience de l’émoi populaire que les niveaux de rémunération de certains grands patrons peuvent susciter dans des pays comme l’Espagne ou la France. Son attitude "donne l’impression qu’il est du genre à faire passer son amour de l’argent avant l’intérêt du groupe", estime Fin News.
Conclusion, Santander va devoir maintenir José Antonio Álvarez Álvarez au poste de PDG après lui avoir annoncé qu’il serait remplacé. Andrea Orcel se retrouve sans emploi, puisqu’il avait déjà démissionné d’UBS. Mais il pourra toujours se consoler en empochant sa prime de départ de 50 millions d’euros qu’UBS doit lui verser puisqu’il ne quitte plus le groupe pour rejoindre un concurrent.