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Le coup de gueule des libraires contre le Prix Renaudot et la tentation Amazon

La sélection pour le Prix Renaudot fait des vagues. De nombreux libraires critiquent le jury pour avoir retenu un ouvrage autoédité et disponible sur Amazon. Pour eux, il s'agit d'une provocation et d'un adoubement de leur ennemi juré.

L’annonce a fait l’effet d’un coup de tonnerre chez les libraires. Pour sa première sélection, le jury du Prix Renaudot a retenu sept essais et 17 romans dont un livre autoédité et disponible chez Amazon, "Bande de Français" de Marco Koskas. Sur les réseaux sociaux, la grogne est peu à peu montée. Dans une lettre ouverte, Mélanie Le Saux, libraire en région parisienne, estime que le jury a  "ouvert la porte bien grande à la bête".

La lettre ouverte de Mélanie Le Saux

"On va nous demander d’aller payer notre concurrent le plus féroce ? De lui donner de l’argent pour qu’il nous tue ? Soit on va acheter le livre chez notre concurrent, soit on ne l’a pas. C’est un signal très fort. On adoube Amazon", explique-t-elle à France 24.

Interrogé sur ce choix dans Le Point, l’un des membres du jury, l’écrivain Patrick Besson, a défendu la sélection. "Cela fait des décennies que des livres sont auto-publiés ou publiés à compte d’auteur. Prenez Proust. Du côté de chez Swann a été publié chez Grasset en 1913 à compte d’auteur. Quel agriculteur donnerait son champ à labourer contre un pourcentage de 10 % ? C’est normal que certains auteurs ne soient pas satisfaits des conditions économiques et se rebellent contre les éditeurs. Moi ce qui m’intéresse, c’est le texte, je me fiche du reste."

L’auteur de Bande de Français, Marco Koskas, n’est pourtant pas un écrivain inconnu. Il a déjà publié plusieurs romans chez Fayard, Grasset ou encore Robert Laffont. Mais pour son dernier ouvrage, l’histoire de juifs français ayant émigré en Israël, il n’a trouvé aucun écho favorable auprès des maisons d’édition. Selon lui, il s’est heurté à une "israélophobie délirante". "Parler des juifs français qui quittent la France à cause de l'antisémitisme et qui s'installent en Israël, c'était un sujet tabou. À ne surtout pas aborder", a-t-il expliqué au site littéraire Actualitté. "Je me suis résigné à publier mon livre à compte d'auteur", a-t-il ajouté.

"Amazon veut être le seul maillon de la chaîne"

Mais pour Mélanie Le Saux, ce n’est pas l’autoédition qui pose problème. "J’ai eu plusieurs auteurs autoédités dans ma librairie", affirme-t-elle. Pour cette libraire qui a dû fermer boutique il y a un an, le véritable ennemi, c’est Amazon : "Son patron le dit clairement. Il veut tuer les concurrents que sont les librairies et les éditeurs. Il veut être le seul maillon de la chaîne."

Un avis partagé par le Syndicat de la librairie française. Il a lui aussi dénoncé le choix fait par le jury de ce prix prestigieux. "Par ce choix, le Prix Renaudot sait-il qu'il rend un bien mauvais service à l'auteur lui-même, aux libraires et donne un signal inquiétant pour l'avenir de la création et de la diffusion du livre ?", s’emporte le syndicat dans un communiqué. "Combien est plus trompeur et plus sinistre le monde rêvé d'Amazon. Plus de hiérarchie entre les œuvres, réduites à un simple identifiant sur une plate-forme, plus de ligne éditoriale mais des millions de titres accumulés sans repères, plus de présence du livre dans ces lieux vivants de 'commerce' au cœur des villes et des quartiers, plus de passeurs engagés pour porter les œuvres et les auteurs auprès des lecteurs, un algorithme sophistiqué et des entrepôts au lieu de la parole échangée."

Un autre coup de gueule d'une libraire

Petit pavé dans la mare, suite à la publication de la pré-sélection du prix Renaudot : oui je suis contre la potentielle victoire d'un livre auto-édité chez Amazon, pour le prix Renaudot. Non pas parce que c'est un auteur auto-publié,

  Margaud ????☕ (@MargaudLiseuse) 8 septembre 2018

Des libraires veulent aller plus loin dans ce combat. Certains d’entre eux appellent même à boycotter le Prix Renaudot et à renvoyer les livres de Patrick Besson à son éditeur. Pour Mélanie Le Saux, il ne s’agit pas forcément de la bonne solution : "Le but de mon appel était de mettre le jury face à sa responsabilité, mais aussi de sensibiliser les lecteurs à cette situation. On ne peut pas acheter sur Amazon et venir se plaindre ensuite que sa librairie disparaît."

Le nom du lauréat du prix Renaudot, qui succédera à Olivier Guez et "La disparition de Josef Mengele" (Grasset), sera annoncé le 7 novembre prochain.