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Juncker - Trump : un "accord" en trompe-l'œil

L’accord entre Donald Trump et le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker sur les droits de douanes, mercredi, a été présenté comme une victoire pour les deux parties. Mais les Américains en retirent bien plus que les Européens.

Joue là comme Kim Jung-un. Le président américain Donald Trump a interprété la même partition diplomatique avec le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker, mercredi 25 juillet, que celle jouée par le maître de Pyongyang à son égard lors du sommet américano-nord-coréen de Singapour en juin.

Le locataire de la Maison Blanche a offert à l’Union européenne (UE) toutes les apparences d’une victoire diplomatique, tout en restant flou sur les détails de l’accord conclu sur les droits de douane. Il ne s’agit pas, en l'occurrence, de dénucléarisation, mais de désescalade dans la guerre commerciale entre les États-Unis et l’UE.

Juncker - Trump : un "accord" en trompe-l'œil

Concessions limitées

“J’avais l’intention de parvenir à un accord aujourd’hui. Et nous avons un accord aujourd’hui”, s’est félicité Jean-Claude Juncker à l’issue de sa rencontre à Washington avec Donald Trump. “Armistice commercial” pour les uns, “nouvelle phase dans les relations américano-européennes” pour les autres : la plupart des commentateurs ont salué le changement de ton du président américain. Exit le terme “ennemi”, que Donald Trump avait utilisé pour qualifier l’Europe avant le sommet de l’Otan du 16 juillet. Les deux partenaires commerciaux sont de nouveau “alliés” pour des “échanges commerciaux libres et équitables”, a affirmé le président américain sur Twitter.

Mais le diable est dans les détails de cet accord surprise tant salué. Jean-Claude Juncker n’a obtenu que deux “concessions” américaines aux effets, en réalité, limités. D’abord, le président américain s’est détourné de sa rhétorique protectionniste habituelle et s’est engagé à mener des négociations pour éliminer les droits de douanes, les barrières non-tarifaires et les subventions sur les biens industriels hors automobile des deux côtés de l’Atlantique.

Mais, comme le rappelle le New York Times, il flotte un petit “air de déjà vu sur cet engagement”. Dans sa relation conflictuelle avec la Chine, Washington a, par deux fois, assuré vouloir apaiser les tensions en négociant des accords avant de revenir à sa stratégie du bâton tarifaire. “Difficile de savoir avec Donald Trump s’il s’agit d’une véritable offre de paix ou simplement d’une accalmie avant une nouvelle escalade”, résume le quotidien de la c ôte est américaine.

Jean-Claude Juncker peut se targuer d’avoir offert un bol d’air à Mercedes, Volkswagen et, dans une moindre mesure, Renault ou encore Peugeot. Le chef de l’exécutif américain a, en effet, assuré qu’il n’y aurait pas de nouveaux droitsde douanes tant que dureraient les négociations. Comprendre : Washington ne va pas, dans l’immédiat, mettre sa menace de taxer les importations de voitures européennes à exécution.

Là encore, le succès diplomatique est à tempérer : le patron de la Commission européenne a obtenu de Donald Trump qu’il renonce à quelque chose qui n’existait pas encore. En outre, la perspective de droits de douane sur les importations de voitures européennes était loin de ravir les constructeurs américains. Plusieurs d’entre eux, notamment General Motors et Ford, ont mis le président en garde contre cette mesure qui “aurait des conséquences néfastes sur l’emploi dans le secteur de l’automobile aux États-Unis”.

Objectif : Chine

Surtout, les concessions obtenues par Jean-Claude Juncker ne pèsent pas lourd face aux bénéfices que le président américain retire de cet accord. L’Union européenne a promis de commencer “immédiatement” à importer davantage de soja et de gaz naturel liquéfié. L’accord sur l’hydrocarbure donne à Donald Trump un atout face à la Russie qui est, actuellement, le principal fournisseur de gaz en Europe.

Une hausse des importations européenne de soja ne pouvait pas mieux tomber pour le président américain. L’Europe va, en partie, prendre la relève des importations chinoises de soja qui sont appelées à chuter à cause des droits de douanes imposés par Pékin sur ce légumineux. Cette sanction chinoise est l’une des principales raisons de la grogne de certains États conservateurs et agricoles américains qui dépendent économiquement de leurs exportations vers la Chine.

Donald Trump n’avait pas invité par hasard des représentants de ces États à la Maison Blanche pour assister à la conférence de presse conjointe avec Jean-Claude Juncker. À quelques mois des élections américaines de mi-novembre, il leur prouve qu’il est attentif à leurs préoccupations.

Il a aussi réussi à écarter une autre menace : la formation d’un front sino-européen contre sa politique commerciale. Donald Trump s’est aussi réjoui de l’engagement européen d’aider les États-Unis à réformer l’Organisation mondiale du commerce (OMC) pour “traiter le problème des pratiques commerciales inéquitables, notamment le vol de propriété intellectuelle” que Washington accuse Pékin de perpétrer.

C’est probablement l’enseignement principal de cet accord surprise : il permet à Donald Trump de ne plus avoir à se battre commercialement sur deux fronts. Il va pouvoir se concentrer sur la Chine sans craindre un coup de poignard dans le dos de la part des Européens.