logo

Recours contre l'État : "Au Bataclan, les soldats de Sentinelle n’ont fait qu’obéir aux ordres"

Des victimes des attentats du 13-Novembre ont déposé mercredi un recours contre l'État. Ils dénoncent notamment la non-intervention des militaires de Sentinelle ce soir-là. Décryptage de Michel Goya, colonel retraité des troupes de marine.

Le tribunal administratif s'est penché mercredi 4 juillet sur un recours déposé par une trentaine de victimes des attentats du 13-Novembre 2015 concernant les "défaillances" de l'État. Celles-ci dénoncent notamment la non-intervention des soldats Sentinelle au Bataclan.

Les huit militaires de la force Sentinelle présents sur les lieux le soir de l'attentat ne sont pas entrés dans la salle de spectacle et n’ont pas remis leurs fusils d'assaut aux policiers de la BAC  (Brigade anti-criminalité) pourtant insuffisamment équipés pour pénétrer dans l'établissement, car elles n’ont pas eu le droit d’intervenir.

Michel Goya, colonel retraité des troupes de marine, enseignant (à Science-Po Paris et à l'Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS), notamment) et auteur de plusieurs ouvrages sur des questions militaires, décrypte pour France 24 l’attitude des soldats. L’ancien militaire estime que la mission de l’armée n’est pas d’assurer la sécurité sur le territoire national.

France 24 : Pourquoi les militaires de la force Sentinelle présents à proximité du Bataclan le 13-Novembre ne sont-ils pas intervenus ?

Michel Goya : Ils ne sont pas intervenus, car ils n’ont fait qu’obéir aux ordres reçus. Le principe qui sous-tend l’action des forces de l’ordre en général est le suivant   : le premier sur les lieux prend le commandement des opérations. Là, en l’occurrence, c’est la BAC, donc la police, qui est arrivée en premier.

Le policier sur place a fait appel au PC opérationnel de la police – la préfecture de police de Paris – qui gère ce genre de situation. Et la préfecture a refusé d’engager les soldats en disant, en gros  : "on n’est pas sur une zone de guerre".

Les militaires ont du coup assuré une mission périphérique d’appui pour couvrir et protéger la zone. Car à ce moment-là, on ne sait pas ce qui peut encore se passer.

Derrière tout ça, il faut voir que la police d’une manière générale ne voit pas toujours d’un bon œil l’intervention des militaires, c’est classique.

On parle de procédures et de protocole, mais n’y-a-t-il aucune place pour l’initiative personnelle dans des situations aussi extrêmes ?

On ne peut pas reprocher au sergent de Sentinelle qui arrive avec son groupe de ne pas avoir agi hors cadre. Il a suivi la procédure. Il a obéi aux ordres. Il y a, c’est vrai, une marge assez mince pour l’initiative, pour tenter le coup, mais il a fallu prendre des décisions très rapidement dans des situations très compliquées. On ne peut pas le blâmer.

L’un des policiers a demandé leurs fusils d’assaut aux militaires, pourquoi ceux-ci n’ont-ils pas obtempéré ?

Encore une fois, ils appliquent la procédure. Cela ne se fait pas. Par ailleurs je ne vois pas très bien ce que ça aurait changé. À ce moment-là, les forces de l’ordre sont dans la rue adjacente au Bataclan, le massacre a déjà eu lieu. Les terroristes sont à l’étage et tirent aussi depuis la fenêtre.

Un fusil d’assaut, comme le Famas dont sont équipés les soldats de la force Sentinelle, c’est très délicat à manipuler dans un contexte comme celui-là. Une rafale peut transpercer des corps et des parois. Le risque de blesser des otages est élevé. Dans un espace clos, ce type d’armes n’est pas un avantage, il vaut mieux un pistolet… D’ailleurs, quand ils sont agressés, les militaires de Sentinelle n’utilisent leur Famas qu’en dernier recours, car il y a un risque de faire des victimes collatérales dans l’environnement immédiat.

Bruno Le Ray, gouverneur militaire de Paris, a déclaré ceci devant la Commission d’enquête parlementaire sur les attentats du 13-Novembre : "Il est impensable de mettre des soldats en danger dans l’espoir hypothétique de sauver d’autres personnes. Ils n’ont pas vocation à se jeter dans la gueule du loup". Qu’en pensez-vous ?

J’ai du mal à comprendre. C’est son point de vue à lui. Pour expliquer ce raisonnement, il faut bien voir que les opérations militaires sur les fronts extérieurs, auxquelles participent les soldats, se préparent longtemps en amont, avec souvent un gros travail de renseignement. Énormément de précautions sont prises pour limiter les pertes. On n’y va pas tant qu’on n’a pas une idée assez nette de ce qu’on va trouver. Cependant les militaires savent agir vite et bien.

En gros, ça n’est pas dans la culture militaire de gérer ce genre de situation   ?

C’est un peu ça. D’ailleurs, à titre personnel, je ne vois pas très bien l’intérêt de l’opération Sentinelle, qui mobilise aujourd’hui autour de 3   000   soldats, contre 10   000 fin 2015. Ça coûte cher, et ça a des effets négatifs. C’est surtout une opération psychologique. On montre nos soldats, on gesticule. Mais ils ne sont pas formés pour ce type d’intervention… Il y a un décalage. Le soldat n’est pas là pour assurer la sécurité sur le territoire national – sauf si des unités militaires y pénètrent –, mais pour combattre dans un contexte d’affrontement militaire, de guerre.

Quelles leçons ont été tirées du 13-Novembre ? Les procédures ont-elles évolué ?

Il y a eu une modification de l’autorisation d’ouverture du feu, la notion de légitime défense a été élargie. Fondamentalement, c’est la seule chose qui a changé. Ensuite, on fait des exercices, on s’entraîne pour mieux se coordonner entre police et armée. C’est davantage une question de pratiques que de procédures. Si nous devions affronter un nouveau Bataclan, je pense que nos forces de sécurité seraient mieux organisées et plus efficaces.