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Guerre commerciale : la débâcle des dernières grandes mesures protectionnistes américaines

L’entrée en vigueur des droits de douane américains sur l’acier et l’aluminium rappelle la loi Hawley-Smoot de 1930 qui a déclenché la dernière guerre commerciale majeure.

“Nous sommes convaincus que l’adoption de mesures protectionnistes serait une erreur. Elles entraîneraient une hausse des prix pour les consommateurs américains [...] et une détérioration du niveau de vie de nos concitoyens.” C’est par ces mots que débutait une lettre envoyée par un collectif de 1 028 économistes en 1930 au président américain Herbert Hoover pour le mettre en garde contre la mise en place de tarifs douaniers sur une vaste gamme de produits.

Une douzaine d’économistes américains a réutilisé la même lettre, à quelques mots près, 87 ans plus tard pour alerter le président Donald Trump sur les dangers d’imposer les taxes douanières sur les importations d’acier et d’aluminium. Pour eux, l’Amérique d’aujourd’hui court le risque de connaître le même sort qu'en 1930 à cause des taxes douanières.

L’acier en 2018, l’agriculture en 1929

Dans les deux cas, la lettre a été ignorée par les autorités puisque Washington a décidé d’imposer aux Européens, aux Canadiens et aux Mexicains les droits de douane à partir du 1er juin. Mais alors qu’en 2018, personne ne peut prédire l’issue de cette guerre commerciale à venir, l’histoire nous a enseigné les conséquences des mesures protectionnistes de 1930. Elles ont fortement nui à l’économie américaine et elles sont l’une des raisons pour laquelle les États-Unis ont “tout fait après la Deuxième Guerre mondiale pour faire prévaloir le libre-échange dans le monde”, souligne Marc-William Palen, économiste à l’université d’Exeter (Royaume-Uni), dans une tribune publiée sur le site de la chaîne américaine NBC.

"Anyone, anyone ?"

Au printemps 1929, l’économie américaine semblait bien se porter. Le taux de chômage était bas, la croissance était au rendez-vous et l’industrie décollait. Dans ce contexte, un seul secteur montrait des signes de faiblesse : l’agriculture. Herbert Hoover, qui venait d’être élu, a repris à son compte une idée défendue par le lobby des producteurs agricoles : les fermiers américains souffraient à cause de la concurrence internationale. Il a proposé d’imposer des tarifs douaniers sur les importations de produits agricoles.

Mais le Congrès, qui s’est emparé du sujet, a décidé d’étendre cette mesure bien au-delà de l’agriculture. Sous l’impulsion de deux élus républicains – Willis Hawley et Reed Smoot –, le Sénat et la Chambre des représentants se sont mis d’accord sur une liste de près de 900 produits soumis à des tarifs douaniers (dont les poissons rouges).

Après plusieurs mois de négociations, la loi dite Hawley-Smoot est adoptée début 1930 alors que le krach de 1929 commence à faire ressentir ses premiers effets sur l’économie américaine. Les prédictions des économistes, qui avaient mis en garde Herbert Hoover contre les effets néfastes de ce protectionnisme dans leur missive, se sont rapidement vérifiées.  L’agriculture américaine n’a en rien bénéficié des tarifs douaniers et les partenaires commerciaux ont multiplié les représailles. La fièvre protectionniste à laquelle le monde a succombé a entrainé une chute drastique du commerce mondial, avec une baisse de plus de 40 % des échanges internationaux.

Danger nationaliste

La portée de la loi Hawley-Smoot est encore débattue de nos jours. Pour les uns, son effet sur l’augmentation des prix des biens importés a aggravé la crise de 1929, pour les autres, ce protectionnisme est l’une des principales causes de la Grande Dépression au même titre que la spéculation boursière. Enfin, certains historiens jugent même que cette loi a contribué à la montée du nazisme en Allemagne. En favorisant l’isolationnisme et en aggravant la crise économique, ces mesures ont “renforcé la misère dans le monde qui est une cause significative de la Deuxième Guerre mondiale”, écrit notamment le Financial Times. Un avis partagé par le président français, Emmanuel Macron. Ce dernier a cité le général de Gaulle pour condamner la décision de Donald Trump qui fait “du nationalisme économique. Et le nationalisme, c’est la guerre. C’est exactement ce qui s’est passé en 1930”.

Mais la situation est-elle comparable à celle d’aujourd’hui, comme le suggère les économistes qui ont signé la nouvelle mouture de la lettre de 1930 ?  La principale similitude tient aux motivations qui ont poussé Herbert Hoover et Donald Trump à adopter ces tarifs douaniers. Les deux présidents “ont agi avant tout par calcul politique sans vraiment réfléchir à l’opportunité économique des mesures”, note le Wall Street Journal. Le quotidien rappelle qu’Herbert Hoover cherchait à satisfaire le lobby agricole et à s’acheter les bonnes grâces des conservateurs du Congrès, tandis que Donald Trump vise à plaire aux électeurs des États industriels du Nord, traditionnellement démocrates, mais qui pourraient pencher à droite lors des élections de mi-mandat, en novembre 2018.

Dans les deux cas, les États-Unis sont aussi les premiers à dégainer. Leurs mesures protectionnistes ont suscité une vive condamnation de la part de partenaires commerciaux, prêts à imposer leurs propres taxes douanières sur des produits nord-américains.

Il n’en reste pas moins des différences sensibles. La situation économique américaine n’est pas la même qu’à la fin des années 1920, quand la spéculation boursière avait atteint des sommets. Une guerre commerciale ne devrait donc pas avoir le même effet accélérateur de crise prêté à la loi Hawley-Smoot. En revanche, le commerce international s’est beaucoup développé depuis les années 1930. De ce fait, une panne des échanges mondiaux due aux droits de douane devrait avoir un effet plus important sur la croissance mondiale.