logo

Acier et aluminium : pourquoi de nouveaux droits de douane au nom de la sécurité nationale

Le président américain a invoqué la protection de la "sécurité nationale" pour justifier l'imposition de droits de douanes sur l'acier et l'aluminium. Un argument surprenant qui risque de créer un dangereux précédent.

Et les tarifs douaniers sur l’acier et l’aluminium furent. Donald Trump a annoncé, jeudi 8 mars, que ces droits de douanes entreraient en vigueur dans 15 jours, et que seuls le Canada et le Mexique en seraient temporairement exemptés. Pour justifier ces mesures controversées, le président américain a cité des raisons de “sécurité nationale”.

Il n’est donc plus question de protection de l’emploi ou de balance commerciale avec la Chine ou l’Allemagne. La Maison Blanche a hissé l’industrie de l’acier et de l’aluminium au rang de production vitale pour le territoire américain.

De l’acier pour l’armée

Un motif qui permet de donner une base légale à l’imposition des taxes douanières au regard du droit international. Un pays est autorisé à sortir cette arme protectionniste afin de protéger les “intérêts essentiels pour sa sécurité”, d’après l’article 21 des règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). En s'appuyant sur ce texte, fait rare, Donald Trump échappe aussi à l’obligation d’obtenir l’accord d’un Congrès plus que tiède à l’égard de ces tarifs, puisque la définition de ce qui relève de “la sécurité nationale” relève du seul fait du prince.

Mais le lien entre l’industrie de l’acier ou de l’aluminium et la “sécurité nationale” laisse les experts perplexes. “Je pense que personne ne peut l’expliquer car le rapport semble vraiment très ténu”, reconnaît David Collins, professeur de droit international économique à la City University de Londres, contacté par France 24.

En fait, l’article 21 est “attractif pour l'administration américaine, car il laisse une grande marge d’interprétation”, juge Andrew Lang, professeur de droit économique à l’Université d’Edimbourg, contacté par France 24. Il stipule notamment que l’argument de sécurité nationale peut être invoqué pour protéger les “produits et matériaux qui servent directement ou indirectement au ravitaillement de l’armée”.

Acier et aluminium : pourquoi de nouveaux droits de douane au nom de la sécurité nationale

C’est ce passage qui, de l’avis des deux experts interrogés, a séduit Washington. L’acier est, notamment, utilisé pour la construction de véhicules de combat et tomberait, du coup, dans le champ d’application de l’article 21. “La logique de l’administration Trump est de dire que si les États-Unis importent trop d’acier, cela va tellement fragiliser l’industrie nationale qu’elle risque de s’effondrer, mettant le pays à la merci du bon vouloir d’exportateurs comme la Chine”, explique David Collins.

Le secrétaire américain au Commerce, Wilbur Ross, et le conseiller au Commerce, Peter Navarro, avaient d’ailleurs préparé le terrain. Dans un rapport du 16 février sur l’acier et l’aluminium, ils estiment que 80 % de la consommation d’acier aux États-Unis doit venir de la production nationale pour garantir l’indépendance américaine. L’acier “made in America” ne couvre actuellement que 73 % des besoins nationaux. Les tarifs douaniers doivent, d’après ces faucons du protectionnisme, servir à redresser la barre. Seul hic : “le chiffre de 80 % sort littéralement de nulle part”, assure Andrew Lang, qui juge que le recours à l’argument de la “sécurité nationale” dans ce cas précis est un abus des règles de l’OMC.

Fruit défendu

Il en veut pour preuve supplémentaire les exemptions temporaires des droits de douane dont bénéficient le Canada et le Mexique. Donald Trump a lié ces exceptions à la renégociation de l'Alena (l’Accord de libre-échange nord-américain). Soudain, l’acier et l’aluminium ne relèvent plus de la sécurité nationale, mais sont de simples atouts dans la manche du négociateur Trump.

Le recours à l’article 21 crée, aussi, un dangereux précédent pour le commerce international. Ce texte a tout du fruit défendu dans le jardin d’Éden commercial : les États peuvent être tentés d’y avoir recours sans retenue puisque l’OMC n’a aucune légitimité pour juger ce qui relève de la "sécurité nationale”. Certains experts, comme David Collins, estiment d’ailleurs que personne ne peut contester devant l’OMC une mesure protectionniste prise en vertu de l’article 21.

Il existe donc depuis sa rédaction, en 1949, un accord tacite pour que ce texte ne soit invoqué que dans des situations extrêmes, ce qui a été le cas moins d'une dizaine de fois. Les États-Unis s’en sont ainsi servis contre la Tchécoslovaquie en pleine Guerre froide en 1949 (boycott contre certains produits), puis contre le Nicaragua (boycott économique) en 1985 à l’époque du conflit entre les Contras (mouvement rebelle appuyé par Washington) et le pouvoir sandiniste. L’Union européenne n’y a eu recours qu’une fois, en 1982, contre l’Argentine (boycott) peu après la guerre des Malouines.

Maintenant que Donald Trump brandit cet article dans un contexte beaucoup moins explosif, le risque “est que d’autres pays suivent cet exemple et qu’une multiplication des barrières douanières mettent, à plus long terme, tout le fonctionnement de l’OMC et du libre-échange en péril”, craint David Collins. Donald Trump a ouvert une brèche, reste à savoir si d'autres vont s'y engouffrer.